Le grignotage des terres des Palestiniens chrétiens, entre autre, se fait lentement, mais surement.
Rassemblés pour une messe en plein air, au flanc d'une colline de Bethléem, une poignée de Palestiniens chrétiens se recueillent et prient chaque vendredi pour la vallée de Crémisan, menacée de disparaître derrière le mur de séparation israélien.
Depuis plus d'un siècle, la communauté chrétienne de Beit Jala, près de Bethléem (Cisjordanie), cultive les coteaux de Crémisan, célèbres pour leur vignoble --qui produit le vin de messe de Terre sainte-- et leur monastère salésien.
Mais la construction de la barrière israélienne, que les Palestiniens ont baptisée "mur de l'apartheid", ne tardera pas à les couper de la vallée de Crémisan qui va basculer du côté israélien de la clôture.
Les Palestiniens de la région sont convaincus que le tracé du mur a pour objectif de les spolier de leurs terres. Ils accusent Israël d'avoir programmé l'annexion des zones limitrophes de Bethléem afin de séparer cette ville palestinienne de Jérusalem, distante de seulement cinq kilomètres.
"Avec cette confiscation, Jérusalem et Bethléem ne seront plus connectées. Il faut que les communautés chrétiennes du monde le sachent", souligne Xavier Abou Eïd, un porte-parole de l'OLP (Organisation de libération de la Palestine), dont la famille est originaire de Beit Jala.
La stratégie d'Israël est de "fragmenter" la Cisjordanie pour entraver la formation d'un Etat palestinien viable, accusent les Palestiniens.
La menace pesant sur Crémisan est d'autant plus difficile à accepter qu'il s'agit d'un des rares espaces verts de cette région, relève Hind Khoury, ancienne déléguée générale de Palestine en France, une chrétienne de Bethléem.
"Pour moi, Crémisan revêt une importance particulière car c'est un endroit où nous pouvons souffler. Quand j'étais petite, c'est là où nous allions pique-niquer, où nous nous promenions le dimanche en famille", se souvient-elle.
Un grignotage lent mais sûr
La vallée de 170 hectares est pittoresque, ses pentes couvertes de citronniers et d'oliviers.
Xavier Abou Eïd évoque les récits de son grand-père, tailleur de pierre dans une carrière creusée sur un versant de Crémisan.
Aujourd'hui, les crêtes sont dominées par les quartiers de colonisation de Gilo (35.000 habitants) et de Har Gilo (500).
Ces deux colonies ont été construites sur des terres appartenant à Beit Jala et de nouveaux terrains seront confisqués dans le cadre de la construction du mur.
Dans un avis rendu le 9 juillet 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) a jugé cette barrière illégale et exigé son démantèlement, de même que l'Assemblée générale de l'ONU.
"Dans la région de Beit Jala, la clôture vise uniquement à s'assurer que le terrorisme reste éloigné de Jérusalem", répond un porte-parole du ministère de la Défense, Josh Huntman.
Dans la vallée de Crémisan, le mur dévie largement de la Ligne verte qui délimite Israël et les Territoires annexés après la Guerre des Six jours (juin 1967).
Les propriétaires terriens de la vallée ont saisi la Cour suprême israélienne mais attendent sans grand espoir une décision le mois prochain.
Selon le curé de Beit Jala, Ibrahim Shomali, l'annexion de la vallée ne fera que pousser à l'exil les membres de la communauté chrétienne palestinienne qui se réduit comme une peau de chagrin.
"Des familles vont perdre leurs terres et leur travail, et leurs enfants n'ont pas d'avenir, que vont-elles faire? Elles vont quitter le pays", déplore-t-il.
"Quand on parle de l'émigration des (Palestiniens) chrétiens, il faut savoir qu'elle est liée au fait que nous n'avons pour ainsi dire plus de terre", renchérit Xavier Abou Eïd.
De fait, la bourgeoisie chrétienne de Bethléem a vu ses propriétés grignotées par l'incessante expansion des implantations juives.
Beit Jala a perdu plus de 10.000 dunams (1.000 hectares) à cause de la colonisation, des annexions et de la construction du mur.
"Tout ce secteur a été confisqué lentement mais sûrement", souligne Mme Khoury, notant que le tracé du mur va "littéralement encercler" la région. "Les Israéliens ne veulent pas des Palestiniens. Mais ils veulent leur terre", dit-elle.