« Ce sont des menaces en l’air... », a rétorqué jeudi avant le vote des députés le ministre français aux Affaires européennes Jean Leonetti.
Les députés français ont approuvé jeudi une proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien de 1915, un vote qui a provoqué les premières représailles diplomatiques d'Ankara avec le rappel de son ambassadeur à Paris.
Moins de deux heures après le vote de l'Assemblée nationale, Ankara avait déjà demandé à son ambassadeur à Paris de rentrer en Turquie. "Il part demain" (vendredi) et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan va préciser sous peu les décisions prises, a déclaré à l'AFP le porte-parole de l'ambassade, Engin Solakoglu.
"Cette loi équivaut à une trahison de l'histoire et des réalités historiques", a condamné le vice-Premier ministre turc Bülent Arinç sur son compte Twitter, en estimant qu'elle signe "le retour en France des tribunaux de l'Inquisition".
Le ministre arménien des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian, a de son côté exprimé "la gratitude" de son pays. La France "en adoptant cette loi a prouvé de nouveau qu'il n'y avait pas de prescription pour les crimes contre l'humanité et que les nier devait être puni", a-t-il dit à l'AFP.
Le texte a été approuvé jeudi midi à main levée par une très large majorité de la cinquantaine de députés présents, une demi-douzaine votant contre, alors que plusieurs milliers de Français d'origine turque dénonçaient cette législation aux abords de l'Assemblée nationale.
A la suite de ce vote, les relations franco-turques vont se brouiller pour une durée indéterminée, dans un contexte où les deux pays s'attachaient au contraire à faire cause commune contre la Syrie.
La proposition de loi punit d'un an de prison et de 45.000 euros d'amende la négation d'un génocide reconnu par la loi, comme l'est depuis 2001 en France le génocide arménien de 1915 qui a fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens).
La Turquie reconnaît que jusqu'à 500.000 Arméniens sont morts pendant des combats et leur déportation, mais non par une volonté d'extermination.
Ankara a multiplié les pressions pour empêcher un examen du texte par le Parlement français, évoquant notamment l'exclusion des industriels français de marchés turcs et le gel de la coopération culturelle entre les deux pays.
En 2010, la Turquie a compté près de 12 milliards d'euros d'échanges avec la France.
"Ce sont des menaces en l'air et je crois qu'il faudrait que nous revenions à un dialogue beaucoup plus apaisé parce que cela ne sert à rien d'exacerber les haines de part et d'autre", a rétorqué jeudi avant le vote des députés le ministre français aux Affaires européennes Jean Leonetti.
Liée par des engagements internationaux au sein de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale du commerce, la Turquie "ne peut pas discriminer pour des raisons politiques un pays ou un autre", a précisé le ministre.
La Turquie juge que la loi a une motivation électoraliste pour s'attirer les faveurs du demi-million d'"Arméniens de France" lors de la présidentielle d'avril, ce qu'a démenti Paris.
Le texte a été déposé par Valérie Boyer, une députée du parti présidentiel élue à Marseille (sud-est) où vit une forte communauté arménienne.
Sur les deux génocides reconnus par la France, celui des juifs durant la seconde guerre mondiale et celui des Arméniens, seule la négation du premier est actuellement réprimée.
Si la majorité des députés de droite et de gauche ont apporté lors du débat leur soutien à la proposition de la loi, plusieurs voix dissonantes se sont fait entendre, y compris au sein du gouvernement. Le ministre français de la Défense Gérard Longuet a ainsi jugé que "les députés (n'étaient) pas nécessairement les meilleurs historiens", tandis que son collègue de la Culture, Frédéric Mitterrand, déclarait qu'il n'était "pas très chaud sur les lois mémorielles".
Le chef de la diplomatie, Alain Juppé, est lui resté silencieux.
Selon plusieurs médias, il serait en désaccord avec l'opportunité de la proposition de loi en raison de ses conséquences sur les relations bilatérales et l'aurait fait savoir au président de la République.
Nicolas Sarkozy est l'un des plus vifs opposants à l'entrée de la Turquie dans l'UE et les relations avec la Turquie depuis son arrivée au pouvoir en 2007 ont été émaillées de crises.
Pour entrer en vigueur, la proposition de loi devra cependant aussi être adoptée par le Sénat, ce qui pourrait prendre plusieurs mois.