30-04-2025 09:33 AM Jerusalem Timing

Génocide arménien : Paris minimise les sanctions d’Ankara

Génocide arménien : Paris minimise les sanctions d’Ankara

Erdogan se souvient le "génocide"français en Algérie et Sarkozy invoque les "convictions" de la France

Paris prend à la légère les sanctions prises par Ankara, surtout militaires, en représailles au vote de l’Assemblée générale de la loi qui pénalise la négation du génocide arménien.

Après avoir scruté la position officielle, L’AFP conclut que la décision d'Ankara ne devrait avoir qu'un impact limité, vu qu’aucune activité bilatérale importante n'était programmée par les deux pays, qui continueront nonobstant le vote français de collaborer au sein de l'Otan.
 

Directement après l'adoption jeudi de la proposition de loi la Turquie a annoncé que "les exercices militaires conjoints avec la France et toutes les activités militaires avec ce pays avaient été annulés".
Or, selon l'état-major des armées à Paris interrogé par l'AFP, "aucun exercice" n'était en fait "formellement prévu" entre les deux pays.
  

La Turquie entend également décider désormais au cas par cas pour toute demande militaire française d'utiliser son espace aérien et "rejette dorénavant toute demande française pour ses bâtiments de guerre de visiter les ports turcs". D'autres mesures pouvant "progressivement" être mises en œuvre.
 Selon Paris, aucune demande particulière n'avait non plus été faite par la partie française dans ce domaine.
 

Au sein de l'Otan ou ils sont alliés, les décisions turques ne devraient pas entraver les opérations conjointes en Afghanistan, vu qu'elles concernent exclusivement les relations bilatérales  . 
  

Dans le domaine des ventes d'armes, les relations ont également souffert des précédentes tensions entre les deux pays. En 2002, puis en 2004, Ankara a notamment annulé des contrats portant sur l'installation de systèmes de navigation pour les avions de chasse et la production commune de missiles antichars.
 Mais selon le rapport annuel au Parlement sur les ventes d'armes de la France, la Turquie, qui dispose elle-même d'une importante industrie de défense, a compté pour moins de 1% des exportations françaises durant la période 2005-2009 et ne figure pas parmi les principaux clients de la France.
  

La Turquie compte également parmi les sept pays clients (avec l'Allemagne, la France, l'Espagne, le Royaume-Uni, la Belgique et Luxembourg) de l'A 400M d'Airbus, l'avion de transport militaire européen, mais ce programme multinational ne devrait pas être touché par les dissensions franco-turques.

Consternations chez les experts français

Cette sous-estimation officielle n’est pas partagée par des experts français, le choix étant jugé catastrophique au regard du difficile dossier syrien.
 

"Je suis consterné par la bêtise de nos dirigeants. Cela va entraîner une brouille durable car la Turquie aujourd'hui est en position de force pour beaucoup de choses", souligne à l'AFP Philippe Moreau-Defarges, expert à l'Institut français des relations internationales (Ifri), en rappelant le poids politique et économique aujourd'hui d'un pays émergent en pleine croissance.
  "C'est une très mauvaise affaire (qui) va laisser des traces" même si le texte est enterré par la suite au Sénat français, juge-t-il. Ce point de vue est partagé par Didier Billion, autre spécialiste des affaires diplomatiques à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
  

Le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, était encore il y a tout juste un mois en Turquie où il avait engrangé "la capacité de prendre des initiatives communes" sur la Syrie. Maintenant "c'est foutu pour les semaines ou mois à venir", note cet expert.
  

Les experts sont particulièrement critiques à l'égard de l'Elysée qui avait le pouvoir de désamorcer la crise en repoussant sine die l'examen au Parlement du texte de loi proposé par une députée membre du parti présidentiel UMP.
 "Un bras de fer avec Ankara aujourd'hui est absurde. Jamais pour la politique qu'elle conduit au Proche-Orient, et surtout à l'adresse de la Syrie, la France n'a eu autant besoin de travailler en bonne entente avec la Turquie", soulignait jeudi dans un éditorial le quotidien Le Monde.
  

Pour Philippe Moreau-Defarges, la crise avec la Turquie est la résultante d'une diplomatie faite par Nicolas Sarkozy "avec ses considérations propres" et qui "marginalise complètement" le Quai d'Orsay. "Beaucoup de diplomates sont furieux", assure-t-il.
 Sur ce dossier de la Turquie "et sur quelques autres d'ailleurs, comme l'Iran, Alain Juppé n'est pas sur la même longueur d'onde que Nicolas Sarkozy (mais) il n'est pas en situation de peser", renchérit Didier Billion, en reprochant au chef de l'Etat son absence de sens diplomatique.
 Les relations franco-turques sont sur une pente descendante depuis la reconnaissance dans une loi en 2001 du génocide arménien et "les contentieux sont multiples", juge ce spécialiste.
  

L'arrivée au pouvoir en 2007 de Nicolas Sarkozy, vif opposant d'une entrée turque dans l'Union européenne, a été suivie de multiples crises, parfois de la responsabilité d'Ankara.
 En avril 2009, la Turquie avait ainsi failli faire capoter un sommet de l'Otan organisé en France en s'opposant à la nomination d'un nouveau secrétaire général de l'Alliance atlantique. En début d'année, c'est une visite du chef d'Etat français en Turquie qui a été très mal vécue côté turc en raison de son extrême brièveté.
 La mise en demeure en octobre de Nicolas Sarkozy à la Turquie de reconnaître l'existence du génocide arménien d'ici à la fin de son mandat en mai 2012, à l'occasion d'un voyage à Erevan, avait aussi accentué le fossé, en partie re comblé ensuite par Alain Juppé.
  

Plusieurs médias ont rapporté le jugement négatif du ministre des Affaires étrangères sur l'opportunité d'une telle législation, critiquée par certains par son caractère "électoraliste" car elle intervient avant les élections présidentielles de 2012 en France qui compte une importante diaspora arménienne. Jeudi soir, il a espéré que la Turquie "en reste là" sans mesures de rétorsion supplémentaires, en reconnaissant qu'Ankara est "un allié et partenaire stratégique" de Paris.

Erdogan se souvient "le génocide" français en Algérie!  

Coté turc, les réactions se font de plus en plus virulentes.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan vient de se souvenir des crimes commis par la France en Algérie, durant la colonisation l’accusant d’y avoir perpétré « un génocide ». Plus d’un million et demi d’Algériens ont été tués entre 1945 et 1962 par les Français durant la guerre de libération.
 

"On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide", a déclaré Erdogan lors d'une conférence à Istanbul.  
"Si le président français M. Sarkozy ne sait pas qu'il y a eu un génocide, il peut demander à son père Pal Sarkozy (...) qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940", a-t-il ajouté. "Je suis sûr qu'il (Pal Sarkozy) a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie."

Il aussi accusé le président français de jouer sur "la haine du musulman et du Turc" pour rechercher des gains électoraux.
 "Ce vote qui a eu lieu en France, une France où vivent environ cinq millions de musulmans, a clairement montré à quel point le racisme, la discrimination et l'islamophobie ont atteint des dimensions dangereuses en France et en Europe", a asséné le Premier ministre.
  

Et Sarkozy invoque "les convictions " de la France!

 

En réponse, le président français Nicolas Sarkozy a demandé à la Turquie le respect des "convictions" de chacun,  la qualifiant de « grand pays, une grande civilisation, ils doivent respecter les nôtres", a déclaré le président
Devant la presse française à Prague, où il est arrivé pour assister aux obsèques de l'ancien président tchèque Vaclav Havel, Sarkozy a ajouté :
   "La France ne donne de leçons à personne, mais la France n'entend pas en recevoir", a aussi déclaré M. Sarkozy.
"La France définit souverainement sa politique", a insisté le président français, en estimant qu'en "toute circonstance il faut garder le sang-froid et son calme".
   "La France ne demande pas l'autorisation, la France a des convictions, des droits de l'homme, le respect de la mémoire", a-t-il ajouté.
  
En représailles politiques, Ankara a rappelé son ambassadeur à Paris, réfutant le caractère génocidaire des massacres survenus dans les dernières années de l'empire ottoman.