Après plusieurs années de détention le "prisonnier 952" est appelé. "Ils l’ont dit : +Félicitations, tu es libre+", tu es innocent.
Cinq années après son retour de la prison américaine de Guantanamo, où il fut enfermé pendant près de quatre ans, Hija Shahaza, 45 ans, n'en démord pas: il veut "prendre sa revanche" et "punir les Américains", ces "ennemis de l'Afghanistan".
Ancien "moudjahid (combattant) ordinaire", selon ses dires, du Hezb-i-Islami, un groupe de combattants afghan distinct des talibans, sa vie bascule une nuit de 2002, quand des soldats "font irruption" dans sa maison.
Il passera cinq mois à la prison de Bagram, près de Kaboul. Avant d'être transféré à base navale américaine de Guantanamo à Cuba, où les Américains ont ouvert en janvier 2002 une prison pour y enfermer, au mépris de toute convention internationale, des soi-disant « terroristes ».
Dix ans après, quelque 171 hommes y sont encore détenus, dont une vingtaine d'Afghans, selon Kaboul.
A son arrivée à Guantanamo, Hija Shahaza est enregistré sous le nom de "Mollah Khairullah", comme, d'après lui, six ou sept autres détenus. "Pourtant (le vrai) Mollah Khairullah était (lui aussi) à Guantanamo. Et il n'a jamais nié son identité", observe-t-il, dénonçant "un complot", puisque "80% des prisonniers dits talibans ne l'étaient pas".
Enfermé dans un container divisé en quatre chambres, chacune d'une dimension de deux mètres sur deux, toilettes incluses, il doit partager son quotidien avec un autre détenu, faire ses besoins devant ce dernier, et inversement. Se déshabiller devant ses geôliers. Se faire raser cheveux et barbe.
"Je suis surpris de n'être pas mort d'avoir fait cela, que mon coeur, de honte, n'ait pas cessé de battre. Comment ai-je pu devenir un Pachtoune aussi faible ?", se demande-t-il, en référence à son ethnie, également celle d'origine des talibans. Ses interrogatoires tournent autour des talibans et d'Oussama Ben Laden. Sans qu'il ne puisse jamais répondre quoi que ce soit.
Après plusieurs années à ce régime, et un passage devant un tribunal, le "prisonnier 952" est appelé. "Ils m'ont dit : +Félicitations, tu es libre+."
Quinze jours plus tard, un avion le ramène à Kaboul. Une lettre lui est remise, attestant de son innocence.
"Mais j'en fais quoi de cette lettre, après quatre ans de prison ?", s'interroge-t-il. Et d'embrayer: "Les infidèles ne seront jamais des amis de l'Islam. (...) Si un jour je le peux, je prendrai ma revanche et je punirai les Américains".
"Guantanamo a été un facteur important de l'expansion de la violence et de la rébellion contre les Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan. Les histoires horribles liées à ce lieu hanteront la mémoire collective pendant des dizaines d'années encore", observe Waheed Mujda, analyste politique afghan et ancien fonctionnaire sous le régime des talibans (1996-2001).
"Beaucoup des gens qui n'étaient pas des talibans y ont été emprisonnés. J'en connais même certains qui ont rejoint les talibans après avoir été libéré", note-t-il.