Le face à face perdurait samedi en Libye où la situation est "excellente" selon le pouvoir.
Les déclarations du fils de Mouammar Kadhafi, Seif el Islam, ne sont pas moins choquantes que celles de son père. Pour lui, le calme règne en Libye, et les détonations entendues sont dues aux feux d’artifice de la population qui célèbre le régime de son père !
« Si vous entendez des détonations, ne croyez pas que ce sont des tirs de feu, mais il s’agit de feux d’artifice », a-t-il dit à l’adresse des journalistes, autorisés à couvrir la situation dans ce pays, dix jours après le début des violences.
Alors que la population est terrorisée, victime de meurtres, terrée chez elle, Seif el Islam a tenté de refléter une image contraire.
« La paix s’instaure de nouveau dans notre pays, les informations faisant état de l’importation de mercenaires ou du bombardement de la population par l’armée nous font rire. Ce sont toutes des mensonges. Il était erroné d’éloigner la presse étrangère du pays. Je vous invite à interviewer des centaines de milliers de personnes à travers la Libye. Le problème majeur auquel nous sommes confrontés est celui des campagnes médiatiques ennemies. Ils veulent prouver que la Libye prend feu et qu’il y a une grande révolution dans le pays. Vous avez tort, nous sommes unis », a-t-il prétendu.
Toutefois, ce même Seif el Islam a tenu des propos contradictoires dans une interview à la chaine AlArabiyya, en reconnaissant que la Libye est confrontée au danger de la guerre civile et de l’intervention étrangère.
Sur le terrain, la région orientale pétrolifère est aux mains de l'opposition armée qui met en place une nouvelle administration. Les manifestants à Misrata ont fait face à une attaque aérienne menée par les forces et les mercenaires de Kadhafi contre l'aéroport de la ville. 33 personnes sont tombées en martyr au cours de ce combat.
Dans la capitale, les rues étaient quasi-désertes samedi. Seuls circulaient, à bord de 4X4, les miliciens du colonel Kadhafi, au lendemain de tirs contre des manifestants dont six au moins sont tombés en martyr, selon un témoin.
Les habitants s'aventuraient parfois dans les rues pour acheter du pain ou se rendre dans les stations-service. "A part cela, les gens sont terrés chez eux", a-t-il dit. Les hôtels de luxe ont fermé ou ont évacué leur personnel.
Pour leur part, les habitants des quartiers pauvres de la banlieue, notamment à Tajoura, ont affirmé à la presse que les forces de sécurité ont quitté cette zone au cinquième jour des manifestations anti-Kadhafi.
Selon eux, les forces de Kadhafi ont ouvert le feu sur les manifestants qui se dirigeaient durant la nuit de Tajoura à la place verte au centre du pays, faisant cinq martyrs et plusieurs blessés.
Par ailleurs, après le discours de Kadhafi la veille à Tripoli appelant ses partisans à s'armer pour attaquer les opposants, "des rumeurs avaient circulé sur une attaque possible des hommes du leader libyen", selon ce témoin, qui a dit être en contact avec d'autres Libyens dans plusieurs villes du pays.
"Mais la nuit a été calme, des partisans armés du guide frappaient simplement aux portes dans certains quartiers pour dire aux gens de rester chez eux", a dit ce témoin, précisant que des chars sont déployés sur les routes conduisant à Tripoli et en contrôlent l'accès.
A 120 km à l'ouest de la capitale, la situation est toujours tendue à Zouara. Les forces pro-Kadhafi, qui ont disparu des rues, encerclent la cité, a-t-il affirmé. Jeudi, des témoins fuyant la ville avaient indiqué que Zouara était aux mains des manifestants.
A l'est de Tripoli, des mercenaires à la solde du régime ont été héliportés à Misrata (150 km de Tripoli) où ils ont ouvert le feu sur le bâtiment de la radio locale et des manifestants se rendant aux funérailles de victimes des jours de combats de ces derniers jours, a constaté un habitant.
A Benghazi, fief de l'opposition à 1.000 km à l'est de la capitale, l'opposition continuait de s'organiser.
"Nous coordonnons les comités des villes libérées et de Misrata. Nous attendons que Tripoli en finisse avec le régime de Kadhafi et ensuite, nous travaillerons à un gouvernement de transition", a déclaré à l'AFP Abdelhafiz Ghoqa, le porte-parole de la "Coalition révolutionnaire du 17 février", précisant qu'une conférence de presse se tiendrait dimanche après-midi à Benghazi sur la situation.
"Des volontaires partent tous les jours pour Tripoli" pour se battre, a-t-il ajouté. Le bilan des violences cependant restait difficile à évaluer. Le secrétaire général de l'ONU a parlé d'un millier de morts.
L'ancien ministre libyen de la Justice, qui a démissionné pour protester contre la violente répression de la révolte par le régime, envisage la création d'un gouvernement de transition chargé principalement de préparer des élections dans le pays.
Mustafa Abdel Jalil a déclaré à la chaîne arabe Al-Jazira que la décision de créer un tel gouvernement avait été prise "par les membres des conseils locaux dans les régions de l'est libyen".
Le gouvernement envisagé comptera "des personnalités militaires et civiles. Il sera en place pour trois mois maximum. Ensuite, il y aura des élections justes et les gens pourront choisir leur dirigeant", a-t-il précisé.
Il s'exprimait depuis la ville d’Al-Baïda, à l'est de Benghazi, épicentre des manifestations contre le régime de Mouammar Kadhafi.
Abdel Jalil a exclu toute négociation avec Kadhafi pour lui permettre éventuellement de quitter le pays, affirmant que le dirigent libyen devait être jugé en Libye.
Face au chaos, les évacuations des différents ressortissants étrangers continuaient dans des conditions difficiles. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont déjà quitté le pays.
Plus de 10.000 personnes, en majorité des Egyptiens, ont fui samedi la Libye vers la Tunisie par le principal point de passage frontalier de Ras Jedir, a indiqué le Croissant-Rouge local qui parle d'une "crise humanitaire" et appelle à l'aide.
Des responsables locaux ont indiqué à l’AFP que les douaniers libyens ont déserté le principal poste-frontière entre la Libye et la Tunisie, à Ras Jedir, mais militaires et policiers fidèles à Mouammar Kadhafi sont toujours présents.
"Apparemment cela se passe également à Dahiba (deuxième poste frontière plus au au sud, ndlr) sans que les passeports soient tamponnés mais les gens disent qu'il y a des snipers sur les toits comme à Ras Jedir", a déclaré de son côté le président du comité régional du Croissant-Rouge Monji Slim.
Faute de pouvoir assurer la sécurité de leurs diplomates, les Etats-Unis, la France et la Grande-Bretagne ont suspendu les activités de leur ambassade.