Rien n’a changé en Égypte : Un an après la révolution qui a renversé Moubarak, ses parrains sont encore là, et se permettent les interdits.
L’affaire des ONG occidentales (américaines et allemande) accusées d’activités d’ingérence politique illégales dont des financements illicites semble être bel et bien close, malgré les confabulations de milieux politiques et médiatiques égyptiens. Et ce bien entendu, à l’insu des intérêts égyptiens et à l’avantage de ceux des Américains.
Jeudi, les membres étrangers restants ont quitté le sol Égyptien, via l’aéroport du Caire. Pourtant certains d’entre eux étaient interdits de voyage sur ordre juridique et devaient passer au tribunal. Tout bonnement, l’interdiction semble avoir été suspendue. Comble du marasme : personne jusqu’à présent ne sait qui l’a décrétée !
Les Américains prennent le jeu en main
Dès l’éclatement de l’affaire il y a deux mois, c’est l’ambassade américaine qui l’a prise en charge. Sans tarder, elle a exercé des pressions pour entraver l’arrestation des accusés : elle en a fait voyager un premier groupe, et hébergé les restants dans ses bâtiments.
Et puis la campagne de pressions fut lancée : des politiciens américains ont fait le voyage sur place, au Caire, alternant carotte et bâton, sourires et grondement. Vu que la bataille électorale bat son plein, les sénateurs surenchérissaient de Washington sur les sanctions qu’il faut infliger aux Egyptiens : dont entre autre la suspension de l’aide américaine annuelle : la modique somme de 1,5 milliard de dollars par an !.
La secrétaire d’état américaine Hillary Clinton suivait l’affaire de près. Ses dernières déclarations étaient plutôt optimistes. Bien entendu pour ce qui est des intérêts de son pays, et non ceux de l'Egypte.
Les dernères étapes-éclair d’une soumission
Et puis en Égypte, les choses se sont passées très vite : la première séance du tribunal qui a eu lieu dimanche décida un ajournement du procès au mois d’avril. Les avocats de défense ont tout fait pour rendre la vie difficile au juge, violant les règles de comportement, sans qu’il ne puisse rien leur faire.
Il a fini ainsi que ses assistants par abandonner l’affaire. C’était le mardi. Il semble que le mercredi ait été décrétée la levée de l’interdiction de voyage. D'ailleurs, c'est ce jour-là que l'avion militaire a atterri dans l'aérodrome du Caire.
Jeudi, dans une atmosphère de chaos et sous les yeux surpris des employés de l'aéroport, (les permissions de voyage leur ayant été transmis sur le champ, par internet) les membres des ONG quittaient le pays du Nil, vers Larnaka, tout souriant, tout confiant, brandissant le V de victoire, (rapportent des medias égyptiens).
Courroux, désillusion et perte de confiance
Vendredi, c’est la consternation totale dans les milieux politiques et médiatiques égyptiens. "Scandale. La justice libère les Américains et leur permet de voyager sur ordre des militaires" au pouvoir, proclamait en Une le quotidien indépendant Al-Tahrir, les accusant d'avoir reculé face aux "pressions, négociations et visites de responsables américains au Caire". "En 24 heures seulement, le Conseil militaire a prouvé au monde que parler d'indépendance de la justice en Egypte n'est qu'une illusion", a ajouté le journal.
Plus timidement, une journaliste du quotidien pro-gouvernemental Al-Akhbar se contentait de qualifier d'"étranges et regrettables" les derniers rebondissements.
Alors qu’un autre journal gouvernemental Al-Ahram laisse degager son courroux : "Colère en Egypte après qu'il a été permis aux accusés étrangers de voyager".
Pour le quotidien indépendant Al-Chourouq, les autorités égyptiennes ont donné une mauvaise image d'elles-mêmes dans cette affaire. "Comment vont-ils (ceux qui ont soutenu les autorités dans leurs accusations, ndlr) croire le gouvernement une autre fois lorsqu'il criera au loup?" ajoute-t-il.
Arnaque, pagaille et Frères Musulmans
En fait, les accusations de levée d’interdiction de voyage vont dans toutes les directions : vers le Conseil suprême des forces armées militaires, le gouvernement de Ganzouri, le pouvoir judiciaire, et vers le parti des Frères Musulmans, Liberté et Justice aussi.
Les Américains, via leurs medias, semblent avoir fait exprès de les impliquer tous. Mais il semble vouloir plus mettre l’accent sur les Frères Musulmans, laissant entendre qu’ils étaient de mèche dans la transaction : « les responsables américains disent que le tournant de cette crise eut lieu il y a dix jours lorsque le parti Liberté et justice, bras politique des Frères Musulmans a déclaré son soutien aux organisations non gouvernementale indépendantes qui ont contribué à dévoiler les violations du régime déchu » écrit The Times. Et le journal américain d’ajouter : « le parti de la confrérie a dit qu’il faut immédiatement lever les restrictions contre ces ONG non lucratives, ainsi que l’interdiction sur le financement étranger illégal, pour les soumettre aux critères de transparence appliquées dans les pays démocratiques ». Et pour mieux enfoncer le clou, le Sénat américain salue « le comportement de la confrérie pour résoudre cette affaire, et le rôle constructif qu’elle a réalisé ainsi que son parti ».
Bien entendu, les Frères musulmans crient à l’arnaque des Américains qu’ils accusent de vouloir semer la discorde entre eux et le peuple égyptien, entre les différentes factions politiques, entre la confrérie et le Conseil militaire, et de semer le doute dans les esprits des Egyptiens.
Pertinemment, le journal AlMasri al-Yaoum (l’Egyptien d’aujourd’hui) titrait : « la fitna (zizanie) du financement illégal frappe l’Égypte »
Des chiffres déroutants.
Auparavant, c‘était la confusion du nombre des accusés et concernés par cette affaire qui avait frappé ce pays. Le seul chiffre qui resta inchangée dans les medias est celui de l’ensemble des accusés : 43. Tous les autres différaient d’un media local ou international à l’autre. Il est dit que 19 d’entre eux sont de nationalité américaine, alors que certains chiffres signalent que 16 étaient sur place lors de l’éclatement de l’affaire, et 9 l’avaient quitté avant, c’est-à-dire une total de 25. Le nombre des Égyptiens faisant partie de la partie fait lui aussi l’objet de plusieurs estimations: entre 13, 14 et 16. Certains disent que tous étaient présents au tribunal dimanche dernier, lors de la première et dernière séance, alors que d’autres disent que 7 d’entre eux seulement étaient présents.
Même le nombre de ceux qui ont été évacués dans les deux voyages est laissé aléatoire : celui du premier groupe n’a pas été mentionné par les medias ; alors que pour ceux qui sont partis jeudi dernier certaines agences internationales disent qu’ils sont 15 dont 7 américains, alors que des medias égyptiens véhiculent le chiffre de 17, dont 9 américains. L’AFP rapporte que l'agence de presse égyptienne officielle Mena avait annoncé que 15 étrangers étaient partis pour Chypre, dont 8 Américains. Les autres étant un Norvégien, trois Serbes, deux Allemands et un Palestinien alors que des responsables de l'aéroport du Caire avaient de leur côté fait état du départ de 17 étrangers, dont neuf Américains.
Jeudi, à l’aéroport du Caire, l’agence Reuters constate qu’il est difficile de recenser le nombre de ces membres, tellement celui de leurs accompagnateurs, les employés de l’ambassade américaine, était important.
Les Américains n’ont rien fait pour dissiper les confusions. Selon l’AFP, la porte-parole de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, s'est refusée dans un premier temps de donner de précisions sur le nombre de personnes concernées. Le lendemain, (samedi) elle a parlé de 13 qui ont quitté l’egypte jeudi, dont 7 Américains.
Les ONG et le charme de la démocratie
Pour le moment, Washington travaille à l'abandon des poursuites contre les ONG. D’ores et déjà une caution de 5 millions de dollars a été payée, l'équivalent de 330.000 dollars par personne. La somme a été mise à disposition de ses ressortissants par le gouvernement américain, dit Mme Nuland.
La plaidoirie est préparée d’avance : "Les ONG se sont retrouvées dans cette situation parce qu'elles travaillaient à promouvoir la démocratie. C'est ce qu'elles font dans 70 pays", a donné comme indice Mme Nuland. Le terme « démocratie », charmeurs des esprits, devrait faire le reste!
D’ailleurs, personne en Egypte ne pourra dire le contraire car personne ne sait les détails des activités de ces ONG, qui sans perdre de temps ont fait évader les documents qui les décrivent.
N’empêche que les Egyptiens commencent à se fier à un constat humiliant: un an après leur révolution, rien n’a changé chez eux. Moubarak est parti, mais ses parrains américains sont encore là, et par dessus tout, au-dessus des lois!