"Le corps de Sharon respirant encore est une allégorie du corps politique israélien, une existence dépendante et sous assistance".
C'est un quasi-rituel. Chaque année, au début du mois de janvier, les médias israéliens évoquent Ariel Sharon, l'ex-Premier ministre, plongé dans un coma profond depuis le 4 janvier 2006.
Au début, avec force : télés, radios, presse écrite, tous accordaient une place importante au rappel de l'événement. État de santé détaillé du comateux le plus célèbre du "pays", interviews de ses proches, de ses deux fils, de sa bru, d'anciens compagnons de route, sans oublier son chauffeur, Gilbert Cohen. Mais, à la longue, le silence imposé par son entourage et une actualité toujours fébrile ont fait leur oeuvre. Les médias se sont lassés et la plupart des Israéliens ont oublié celui qu'ils avaient tant aimé ! "Arik, roi d'Israël", n'est plus qu'un vieil homme de 83 ans, terrassé par un AVC dévastateur, alité quelque part dans la chambre d'un hôpital spécialisé de la banlieue de Tel-Aviv.(,,,)
Qu'en pensent les médecins ? Officiellement rien. Mais quand on leur promet l'anonymat, c'est plus clair : "Son cerveau n'a plus que la taille d'un pamplemousse. Seule la partie qui permet à son corps et à ses organes vitaux de fonctionner est normale. Mais, à part cela, il n'y a rien. Seulement du liquide." D'autres membres de l'équipe médicale, plus critiques, parlent de situation pitoyable qui se poursuit uniquement parce que c'est Ariel Sharon. Alors, acharnement thérapeutique d'une famille qui ne se résout pas à l'irréparable ? Le mot n'est jamais prononcé. Pas de polémique non plus, autour de la décision d'Israël de prendre en charge la moitié du coût annuel du traitement, dont la facture s'élève à près de 300 000 euros. (…)
Une galerie d'art moderne de Tel-Aviv a présenté une installation réalisée par un sculpteur israélien, Noam Braslavsky. On y voyait un Ariel Sharon, grandeur nature, allongé sur un lit d'hôpital. Le mannequin, revêtu d'un pyjama bleu, avait les yeux ouverts alors que son gros ventre se soulevait au rythme de la respiration. "Le corps de Sharon respirant encore est une allégorie du corps politique israélien, une existence dépendante et sous assistance, perpétuée artificiellement", pouvait-on lire dans la plaquette explicative.
Enfin, il y a la plaisanterie en vogue : Ariel Sharon sort du coma, ouvre les yeux et s'étonne d'être là, dans cette chambre d'hôpital. À l'infirmière accourue pour constater le miracle il demande des explications. Celle-ci lui répond et en profite pour lui conter par le menu tout ce qui s'est passé en six ans. La seconde guerre au Liban, la guerre à Gaza, le retour au pouvoir de son ennemi politique numéro un, Benyamin Netanyahou. Après un silence de quelques instants, Ariel Sharon lui saisit le bras en lui disant : "Please, replongez-moi dans le coma !"
Source: Le Point