"Compte tenu de la technologie vendue et de l’identité des clients, nous sommes convaincus qu’Amesys ne pouvait ignorer" qu’elle était utilisée pour opprimer les opposants libyens. (FIDH)
Alors qu'il est reproché à la société française Amesys d'avoir vendu à la Libye de Kadhafi du matériel pour traquer ses opposants, Me Emmanuel Daoud, l'un des avocats de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH), s'interroge sur les lenteurs de la justice dans cette affaire.
En 2007, la société française Amesys, filiale du groupe Bull, a vendu au régime lybien du matériel d'interception des communications sur Internet qui aurait été utilisé pour identifier et traquer les opposants au régime de Mouammar Kadhafi.
En marge de ce contrat, selon des révélations du site Médiapart, laLybie aurait participé au financement de la campagne présidentielle du candidat Sarkozy.
Amesys est visée par une enquête préliminaire ouverte à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), à la suite d'une plainte du collectif de juristes Sherpa pour "atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui". Une deuxième plainte pour "complicité de torture" a été déposée à l'automne 2011 par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) et la Ligue des droits de l'homme (LDH). Les explications de Me Emmanuel Daoud, l'un des avocats de la FIDH.
(…)D'après les extraits du documentaire de Canal plus, disponibles en ligne et le "pitch" de l'émission, son auteur, Paul Moreia aurait retrouvé la trace de bloggeurs libyens qui ont été torturés après avoir été arrêtés, en dehors des manifestations. Ils ont vraisemblablement été localisés grâce au trafic Internet qu'ils généraient. Or, le matériel vendu par Amesys à la Libye est le seul dont disposait le régime de Muhammad Kadhafi pour capter les communications sur le Web.
La question qui se pose en droit pénal est la suivante: Amesys et certains de ses cadres dirigeants savaient-ils que leur système d'interception des échanges pouvait être utilisé par Kadhafi et ses sbires pour identifier, puis interpeller, réprimer, torturer, voire exécuter leurs opposants? Compte tenu de la technologie vendue et de l'identité des clients, nous sommes convaincus qu'Amesys ne pouvait l'ignorer. Voilà pourquoi nous avons déposé plainte pour complicité de torture.
Moreia dénonce aussi la lenteur de la justice sur ce dossier. « C'est à se demander si le parquet ne souhaite pas purement et simplement l'enterrer... »
Selon lui, l'hypothèse sur le lien entre l'inaction du procureur de la République et les allégations d'après lesquelles la Libye, en marge du contrat Amesys, aurait contribué au financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 est bien réelle.
Il faut bien expliquer pourquoi le parquet bloque une action solidement étayée et engagée par la FIDH et la LDH, deux ONG qui ne saisissent pas les tribunaux à tort et à travers. Peut-être la justice n'a-t-elle tout simplement pas envie de mettre en évidence le concours et la complicité apportés par l'Etat français à la vente de matériel utilisé par le régime de Kadhafi pour identifier et éliminer ses opposants - ce qui constituerait une affaire d'Etat.
Peut-être le pouvoir en place s'est-il, en prime, fait payer afin d'alimenter les caisses de campagne de Nicolas Sarkozy, selon Médiapart, et ce serait alors un scandale. Quoi qu'il en soit, sur le plan de la morale publique et du droit international, cette affaire est gravissime et justifie des investigations.