Entre l’imminence de l’attaque israélienne, et son impossibilité sans les Américains, une guerre médiatique bat son plein. Faute d’une guerre réelle ?
Depuis la dernière rencontre entre le président américain et le Premier ministre israélien, au cours de laquelle le premier a rejeté la proposition du second de mener ou de donner son feu vert pour une attaque militaire contre l’Iran, on observe un remue-ménage médiatique hors-norme.
Deux grandes tendances s’en dégagent.
La première relève d’une véritable campagne d’intoxication. Des informations démenties le lendemain, par les Américains surtout, s’attellent à laisser croire que l’attaque contre l’Iran est inévitable tôt au tard, et qu’en attendant les Israéliens s’acquièrent les moyens de la mener, avec le consentement des Américains et leur assistance.
Dans ce cadre, s’inscrit l’information diffusée par le journal israélien Maariv au lendemain de la mission de Netanyahou à Washington, comme quoi les Etats-Unis se sont engagés à fournir les bombes anti bunkers et les avions d’approvisionnement en air, (lesquels semblent faire défaut à l’arsenal israélien), et que la Maison blanche s’est empressé de de nier.
Une autre information du même calibre, impliquant aussi Washington, puis démentie par elle a été diffusée par le journal russe Kommersant, à la foi d’une source diplomatique russe. Elle prétend que la secrétaire d’état américaine Hilary Clinton a envoyé à l’Iran un ultimatum via son homologue russe Serguei Lavrov. Son contenu étant que ce pays jouera lors des prochaines tractations avec le groupe des six « sa dernière chance ». La porte-parole de Mme Clinton a nié tout.
Nul doute que les deux informations ont de commun de vouloir amortir le refus d'Obama d'attaquer l’Iran. Laissant entendre que les Américains agissent à l’opposé de leurs paroles, et qu’en fait, ils préparent le terrain pour la mener, voire plus, qu’ils commencent à s’impatienter. Ce qui équivaut à laisser croire que cette attaque est désormais imminente.
Dans cette rhétorique s’inscrit l’information diffusée également via le Maariv, que le Premier ministre israélien a obtenu le feu vert de la part de la plupart des ministres membres du cabinet ministériel de sécurité restreint de frapper l’Iran, sans feu vert américain. Drôle de révélation en ce moment, alors que la séance se devait être secrète. Les medias arabes farouchement anti iraniens comme le koweitien as-Siyassa (la politique) n’ont pas manqué de rajouter du leur, pour plus de dramatisation, titrant « Netanyahou a pris la décision d’attaquer l’Iran ».
Jamais guerre sans les Américains
De l’autre côté du versant, on retrouve dans les médias une autre tendance qui insiste pour démontrer qu’une frappe israélienne sans les Etats-Unis n’est pas réalisable.
Et pour citer comme exemple, l’article publié par le New York Times le mois de février dernier rapportant les avis de responsables et d’experts militaires proches des cercles de décision lesquels affirment qu’Israël n’a pas les moyens de mener une telle attaque qui puisse mettre fin au programme nucléaire iranien.
La chaine de télévision américaine CNN semble elle aussi suivre la même voie empruntant aussi les mêmes données du New York Times, et étayant ses conclusions grâce à des informations du magazine américain militaire Jane's.
Ainsi, pour l’un comme pour l’autre il est toujours question d’une implication d’une centaine d’avions dans une éventuelle attaque. A première vue, le chiffre peut paraitre terrifiant, mais il n’en constitue pas moins un sérieux point faible. D’abord parce qu’il investit presque la totalité de la force aérienne israélienne qui convient à une mission pareille, en l’occurrence les F15i et les F16i.
La revue militaire américaine le constate et signale que les Israéliens ne possèdent qu’une escadrille (25 avions) de F15i, et 4 de F16i. (C’est-à-dire un total de 125 pour les deux).
Mais le magazine omet de signaler qu’une participation massive de l’aviation rend facile à l’adversaire de les pourchasser !
Autre difficulté mise en exergue par ces medias : vu que les avions devraient traverser une longue distance, il leur serait donc nécessaire de s’approvisionner dans l’air : or les Israéliens ne possèdent pas assez d’avions d’approvisionnement : 7 QC 707 et 4 Herculus (selon Jane's aussi).
S’agissant des bombes que les Israéliens pourraient utiliser, le magazine militaire exclut qu’ils puissent avoir acquis les anti-bunkers américains de type GBU 57, de 13.600 Kg, lesquelles peuvent s’enfoncer dans une profondeur de 40-60 mètres selon la nature du béton ou des rochers, ni les bombardiers capables de les transporter, les B2 et les B52. Ils devraient donc se contenter des GBU 28 (de 2270 Kg), transportables à trois dans chaque F15. D’où la nécessité de l’implication d’un grand nombre d’avions.
D’autant plus qu’il n’y a pas un seul site à frapper, comme en Irak et en Syrie, mais 8. Plus encore : les plus importants, Natanz et Fordo sont les plus difficiles à détruire. Et puis, concernant ce dernier site, situé dans une montagne près de Qom, une frappe risque fort d’avoir l’effet inverse, fait remarquer Emilie Tsorly. Selon cette experte de Dgins, l’effondrement de son entrée sans le détruire pourrait le protéger d’une frappe supplémentaire. Sachant que tous ces sites sont sous la protection du système de défense S 200 et Hack (expert Jim Ahloran à la CNN).
Les experts estiment aussi que le choix des trajectoires pose aussi un sérieux problème: celle passant par la Turquie, la plus longue, parce que les relations sont mauvaises ; celle passant par l’Arabie (bien plus courte) est impossible car officiellement, il n’y a pas de liens entre les deux ; et enfin celle qui franchit la Jordanie puis l’Irak, la plus privilégiée permet une avance de trois heures aux Iraniens pour les détecter et se préparer à répliquer.
Washinton Times contre CNN et Jane's
Au lendemain du programme de la CNN, effet ping-pong oblige, une réplique point par point, se trouvait toute prête dans un magazine (qui s’est voulu à l’origine être une alternative conservatrice au Washington Post, et connu pour ses scoops ayant trait aux services secrets américains, et dont beaucoup se sont révélés être faux): le Washington Times. Selon lui, Israël aura recours à l’effet surprise, à tel point que les Iraniens ne s’en rendront compte que lorsque les attaques seront terminées, qu’Israël est devenu expert dans ce genre d’opérations citant les deux cas irakien et syrien ; qu’Israël aura recours à des bombes anti bunker qu’il s’est acquis des Etats-Unis en allusion au GBU 57 et non ceux téléguidées par Laser, que les Israéliens seront protégés des ripostes iraniennes grâce au Dôme d’acier et aux abris. Toute au long de l’article, il est sans cesse question d’une contribution américaine, voire que les Américains seront de mèche dans l’attaque.
Les sondages aussi retrouvent leur compte dans cet échange médiatique. Lorsque le Haaretz a signalé que 56% des Israéliens étaient hostiles à une attaque israélienne contre l’Iran sans les Etats-Unis, la Reuters a trouvé bon de sonder l’opinion des Américains, lesquels exprimaient, eux aussi à 56%, leur soutien d’une frappe si le développement d’une arme nucléaire par l’Iran s’avère vraie.
Tirer les conclusions d’un tel remue-ménage médiatique serait bien hâtif. S’agirait-il d’un face à face sérieux entre l’administration américaine et israélienne, médias interposés ? Sachant que l’ex-président américain Georges Bush avait lui aussi refusé de mener une attaque contre l’Iran en 2008, après une campagne acharnée qui la présentait comme immédiate et avant une autre campagne qui la présentait inévitable. Ou alors serait-ce un écran de fumée pour occulter les préparatifs d’une attaque ?
Au moment ou la région est en ébullition, toutes les réponses relèvent de l'aléatoire. Seuls les évènements à venir apportent les certitudes.
Force est de constater que face à ce pêle-mêle déroutant, combien est pertinente la réaction iranienne. Tout en criant à la guerre psychologique, elle se prépare au pire scénario.