Les dessous de son arrestation, et surtout le role crucial des services de renseignements français
La boite à secret de Mouammar Kadhafi, Abdullah el-Senoussi fait peur à plus d’un dirigeant occidental et arabe, et surtout au président sortant français, et beaucoup préfèrent le faire taire.
Chef des services de renseignements libyen durant 30 années du règne de Kadhafi, Senoussi a été arrêté la semaine passée à Nouakchott. Curieusement, ce n’est pas seulement la Libye qui exige qu’il lui soit livré, mais aussi la France qui s’acharne pour qu’il soit extradé chez elle, au motif qu’elle voudrait le faire juger pour son implication dans l’attentat contre le DC10 UTA en 1989 et qui avait fait 170 tués dont 54 français.
Mais pour les centres de recherches et les milieux des services de renseignements, ce motif n’est pas suffisant pour expliquer l’acharnement français pour le faire arrêter et livrer.
« Senoussi est la boite noire de Kadhafi et connait les dessous de toutes les sales affaires,..., les complots d’assassinats ourdis, voire la marque des sous-vêtements que portait Kadhafi », a indiqué Naemane ben Othmane, expert dans les questions libyennes dans le centre de recherche londonien Quilliam (Quilliam foundation) pour le quotidien londonien arabophone AlQuds AlArabi. Ben Othmane est aussi un ancien militant du groupe islamiste combattant qui était allié avec la nebuleuse AlQaida.
Des responsables libyens avaient affirmé que Senoussi détient entre autre des informations sur l’aide que l’ancien guide libyen avait offerte à Nicolas Sarkozy en 2007, alors qu’il était candidat aux présidentielles françaises et les détails de ses liens avec les pays occidentaux.
« Il est le témoin principal d’une corruption financière de grande envergure et de transactions qui concernent un grand nombre de dirigeants et d’États dont la France », confie une source importante d’un service de renseignement arabe au journal. Et d’ajouter : « il sait tout sur l’affaire Lockerbie et l’accord qui s’en est suivi, et sur l’affaire de l’explosion de l’avion UTA, et surtout sur les circuits d’argent et de financements de campagnes présidentielles par Kadhafi ».
Mais Ben Othman est catégorique : c’est surtout Sarkozy qui est le plus intéressé par l’arrestation de Senoussi, pas seulement pour faire remonter sa cote de popularité en pleine campagne présidentielle en présentant l’homme comme étant le responsable de l’explosion de l’avion UTA.
Ce point de vue est partagé par de nombreux responsables des services de renseignements arabes lesquels s’attendent à ce que le président français sortant veuille transférer Senoussi dans une prison française, pour empêcher qu’il ne soit jugé en public, et qu’il ne dévoile que Kadhafi lui a payé la somme de 50 millions de dollars pour sa campagne électorale par le biais d’un réseau très complexe et ultra secret de banques et de sociétés.
Interrogé par le journal londonien, une source diplomatique française a nié ces informations en bloc, affirmant que justice devrait être faite : « nous voudrions faire livrer Senoussi, il sera capable de parler dès qu’il sera traduit en justice, ces assertions ne sont que des bavardages et des balivernes, cette théorie du complot ne tiendra pas », a-t-elle signifié.
L’an dernier, le fils de l’ancien leader libyen, Saif-ou-elIslam avait confirmé pour l’Euro news la contribution généreuse de son père au financement de la campagne présidentielle de Sarkozy, exigeant que l’argent soit restitué au peuple libyen.
Faits marquant qui revêt une nouvelle dimension à la lumière de l’affaire Senoussi : en 2007, au lendemain de l’élection de Sarkozy, la première affaire étrangère qu’il a prise en charge ainsi que son ex-épouse était une affaire libyenne par excellence : celle des infirmières bulgares accusées en Libye d’avoir inocule le sida à des enfants libyens.
« Sarkozy ne pourra dormir de ses pleins yeux avant d’apporter Senoussi en France », confie le haut-responsable du renseignement arabe à AlQuds AlArabi.
L’intérêt porté par l’administration française pour cet homme soulève bien des questions. Non seulement Paris exige son extradition, mais en plus c’est elle qui a tous les efforts pour le faire arrêter : de l’aveu du bureau de Sarkozy, son arrestation «est le fruit de la coopération entre les renseignements mauritano-français".
« La France ne veut en aucun cas le livrer aux autorités libyennes. C’est elle qui l’a séduit pour qu’il quitte le Mali et lui a tendu un guet-apens. Il était au nord de Mali sous la protection du gouvernement. Il fut attiré en Mauritanie après un accord entre les services de renseignements français et mauritaniens », poursuit la source arabe proche du service de renseignements arabe, confirmant la version française officielle des faits (rapportée par le site en ligne du journal algérien AlAkhbar). Et de poursuivre : « c’est une unité spéciale française qui a œuvré pour son arrestation. Elle est entrée en contact avec la tribu mauritanienne des Maaddani en qui Senoussi avait pleinement confiance surtout qu’il l’avait financée et lui avait donné la nationalité libyenne. Elle l’a persuadée d’inviter Senoussi chez elle ».
Confirmant ces faits, Alakhbar dévoile aussi que les renseignements français avaient dans un premier temps demandé au Maroc où Senoussi était entré avec un faux-passeport de l’arrêter et le lui livrer ce qu’il a refusé craignant un incident diplomatique avec la Libye.
Interrogé par AlQuds AlArabi, un haut responsable marocain ayant requis l’anonymat a rejeté cette version des faits, affirmant que ce n’est que lorsque Senoussi a été arrêté en Mauritanie que Rabat a su qu’il se trouvait au Maroc.
Une chose est sure, les Français ont eu recours au président mauritanien Mohammad Would Abdel Azizi qui a voulu rendu la pareille à l’administration française pour l’avoir aidé à remporter les élections présidentielles en 2009 (accusées d’avoir été falsifiées par ses rivaux).
Selon Ben Othman, le président mauritanien avait été persuadé par une autre personnalité libyenne qui fut aussi influente que Senoussi du règne de Kadhafi : Bachir Saleh. Il était le directeur de bureau du guide déchu et liquidé (et le président de la société Portefeuille Libye-Afrique pour les investissements et qui constitue l’une des caisses de la fortune souveraine de la Libye).
Selon des responsables libyens, Bachir qui fut l’un des plus forts conseillers de Kadhafi pendant près de 30 années, a été arrêté après la chute du régime puis relâché. Il est apparu ensuite à Paris, puis au Niger où il a obtenu sur pression française un passeport diplomatique et le poste de conseiller du gouvernement.
« Personne ne sait comment Bachir a été libéré en Libye après avoir été arrêté l’été dernier ni sur la demande de qui il l’a été », constate pertinemment Ben Othman.
Le rôle français ne saurait être occulté. Sans compter que Senoussi est au courant des détails des transactions signées avec les sociétés de sécurité, si chères aux Occidentaux lesquels s’acharnaient pour les faire recruter en Libye depuis une dizaine d’années et disséminées il est vrai un partout dans les fiefs de leur influence.
il semble aussi que des dirigeants arabes et africains aient aussi intérêt à faire taire Senoussi. « S’il dit tout ce qu’il sait sur eux, ce serait une catastrophe. Ils appréhendent le plus qu’il ne présente des documents et des preuves qui les condamnent », souligne Ben Othman.
Et de poursuivre : « certains États ont comploté avec Kadhafi contre des états avoisinants, concoctant des coups-d’état, des assassinats et des attentats et c’est Senoussi qui répertoriait tout cela et qui organisait les complots ».
Le responsable du service de renseignement arabe est sur la même longueur d’onde que Ben Othmane, précisant que ces pays avaient chargé Kadhafi des sales besognes contre leurs ennemis. et dont les détails se trouvent aussi chez Senoussi.