"Ce qu’ils ne pourront jamais nous enlever c’est l’affectif, la solidarité et la détermination et vraiment dans ces circonstances cela a été très riche, bravo les filles !
De retour de prison en Israël : le récit de Nicole samedi, 21 avril 2012
Mission Bienvenue Palestine du 15 avril 2012 au 21 avril 2012
Les objectifs :
Exiger des gouvernements de soutenir le droit aux Palestiniens de recevoir des visiteurs, et le droit pour leurs ressortissants respectifs de visiter librement la Palestine.
Pouvoir transiter par l’aéroport de Tel Aviv sans encombre afin de pouvoir nous rendre directement en Cisjordanie.
Nous savons qu’à l’aéroport Ben Gourion si un voyageur déclare vouloir se rendre en Palestine et est suspecté de sympathie pour les Palestiniens, il se trouve confronté au risque de refoulement, d’humiliation, d’interrogatoires sur sa vie privée, d’arrestations et même d’emprisonnement. Nous prendrons le risque de donner nos intentions à la police dès l’arrivée à l’aéroport israélien et nous montrerons notre invitation de Jacques Neno, Palestinien, coordinateur de l’association palestinienne EJE (Education, Jeu et Enfant).
Etre associé à un beau projet : la construction d’une école internationale pour laquelle Jacques Neno est en train de réunir les financements, qui comprendra 16 classes, de la maternelle à la terminale, avec en plus une école hôtelière. Le terrain de 4 hectares est disponible et nous allons construire les premiers murs.
Les faits :
Dès que j’entends parler de cette mission je m’inscris sans hésiter, on était alors le 5 décembre, il s’agissait d’être le plus grand nombre possible, faire encore mieux que la précédente mission de juillet 2011, passer le cap des 1000 voire 2000 participants de tous pays. On s’organise, se réunit, un grand élan solidaire se met en place afin d’aider à l’achat des billets d’avion. Les départs s’organisent par groupes et lieux géographiques sur différentes compagnies et différents aéroports.
Il se trouve que je suis la seule française sur le vol direct Paris Tel Aviv d’Air France du 15 avril, j’apprends que des québécois transitant par Paris devraient être sur mon vol... Une certaine angoisse au départ, depuis le jeudi certains reçoivent des annulations de vol par leurs compagnies qui prétendent qu’ils ne seront pas admis en Israël (blacklistés)……..et moi ?
Le 15 au matin, je décolle sans problème de CDG et j’atterris à Ben Gourion à 16h00, pas un seul instant je n’ai douté de ce que j’allais dire au contrôle tout en sachant qu’à partir du moment où j’aurais prononcé « Bethléem » les ennuis allaient commencer, une certaine angoisse m’étreint, il y a un déploiement de centaines de policiers autour des guichets de contrôle, arrive mon tour, à la question « combien de temps restez-vous à Tel Aviv ? » je lâche direct « je vais à Bethléem », réaction immédiate, je suis entourée de policiers qui me dirigent dans un premier bureau pour m’interroger, puis un deuxième, où je réponds toujours la même chose, pour finalement atterrir dans une petite salle d’attente où je rencontre 3 québécois, ouf ! Charlotte, jeune fille de 19 ans et deux garçons, à ce moment-là un « officiel » s’adresse à nous d’un ton ferme « vous n’irez pas en Palestine, ça c’est sûr, l’alternative c’est repartir immédiatement sur Paris où aller en prison », nous protestons, questionnons, refusons de repartir, on nous dit autoritairement « prison », et là, on est seuls, sans témoins, nous ne sommes pas dans l’aéroport principal mais dans une annexe très éloignée des circuits passagers, dépouillés de toutes nos affaires, et toute velléité de résistance s’éteint peu à peu, des femmes nous font déshabiller entièrement pour une fouille minutieuse de nos corps et vêtements, on se retrouve poussés dans un fourgon grillagé, Charlotte et moi sommes enfermées dans un compartiment, les 2 garçons dans un autre, plus de bagages à mains, plus de téléphone, on attend, il fait très chaud, on manque d’air et on a envie d’aller aux toilettes, alors je tape sur la tôle, je crie, je les appelle, on voit au travers des grilles des policiers fumer leur cigarettes, deviser gaiement, impassibles à mes appels.
C’est notre premier contact et ça donne le ton. Charlotte, premier voyage à l’étranger, commence à craquer, les efforts que je fais pour la rassurer au moins contribuent à me rassurer moi-même……puis on démarre pour 15 minutes de trajet et nous voici dans la cour de la prison, les hommes sont emmenés d’un côté, nous de l’autre, et on recommence à nous fouiller le corps et les vêtements dans une pièce à peine fermée, puis de nombreux hommes et femmes policiers s’affairent à fouiller nos bagages à mains, on nous fait enlever nos bijoux, montres, lunettes qu’ils réunissent dans un petit sac puis qu’ils vident pour mettre dans un autre sac, ils ne sont jamais d’accord dans leurs actes et totalement désorganisés, l’un regarde l’appareil photo, le met avec les bijoux, l’autre le reprend pour le remettre dans le sac, ils étalent tous les médicaments sur une table, les font tomber par terre, ils ramassent et les remettent en vrac dans le grand sac pour ensuite nous dire qu’il faut les présenter à un docteur, lequel docteur officie dans la pièce à côté, regarde et vide les boites de kestin et doliprane, demande les ordonnances, pour ensuite tout rassembler en dehors des boites dans un sac plastique.
Pendant ce temps-là dans la pièce principale, derrière mon dos, les autres ont vidé ma pochette et étalé mon argent, mes papiers, ils commencent à écrire sur des feuilles ce qui ressemble à un inventaire, je demande à tout garder avec moi, impossible, on me dit que je n’ai droit à rien, que je retrouverai tout cela quand je sortirai, je prends vite mes médicaments, j’attrape un mouchoir, mes lunettes et mon sac disparait dans un local.
Dès qu’on arrive dans la cour de la prison on nous amène directement chez le docteur, j’ai mon sac de médicaments à la main, je n’ai que cela d’ailleurs……..il me laisse tout, et on arrive dans le couloir des cellules, les filles déjà arrivées sont debout derrière les barreaux, guettant les nouvelles, on fait connaissance, « t’es d’où ? Arrivée quand, comment ? » On raconte, on échange et le stress s’en va petit à petit, ça y est, on est un groupe, on va s’organiser, on va être fortes, Charlotte le ressent aussi et son moral remonte d’un coup.
On nous autorise à sortir pour manger dans une petite cour où il y a des bancs et des tables. le Consul de France et un adjoint arrivent « nous comprenons très bien votre action mais Israël est un pays souverain, on ne peut que vérifier si vous êtes bien traitées et communiquer avec vos familles», nous rétorquons que nous exigeons de téléphoner nous-mêmes, car c’est notre droit, de même que voir un avocat, pour l’avocat il nous dit qu’il allait le prévenir mais en ce qui concerne le téléphone….c’est eux qui décident et il n’y peut rien, alors on lui donne nos numéros de contacts famille mais pour certaines c’est difficile car elles ne connaissent pas leurs numéros par cœur. Après leur départ on réitère notre demande de téléphone, les gardiennes ne disent jamais non mais …plus tard……..et ……..demain…….
Puis on regagne nos cellules, nous sommes 6 par cellule, dans la nôtre, deux françaises, 2 anglaises, une écossaise et Charlotte la canadienne, le local est assez grand, haut de plafond, lits superposés, un évier, un tuyau de douche et un WC, le tout pas très propre et quelques cafards mais cela n’a pas d’importance.
La première nuit est agitée, des filles sont arrivées tard, on n’avait aucune notion de l’heure, on a entendu des cris dans la nuit venant d’un autre bâtiment, on avait l’impression que des femmes étaient interrogées et maltraitées, personnellement je devais à tout moment chasser de ma tête l’idée que j’étais enfermée car cela m’angoissait.
Le lendemain matin une fille qui était déjà là l’année dernière me dit que les bruits entendus la nuit proviennent d’une cassette enregistrée pour nous affaiblir psychologiquement.
Dès le petit déjeuner du lendemain on recommence à demander à téléphoner, à avoir des cigarettes, à voir l’avocat…….réponses « plus tard ». On commence à s’organiser entre nous, à développer une stratégie, accord unanime sur l’arrêt de nourriture le mardi en soutien aux prisonniers palestiniens, on accepte de partir mercredi, certaines jeudi ou plus.
Le Consul et son associé reviennent avant midi, on leur fait part de notre décision de grève de la faim, puis on redemande pour le téléphone, ils nous disent qu’ils ont parlé avec le directeur de la prison et qu’on pourrait « probablement » téléphoner aujourd’hui. On décide d’arrêter de manger dès le lundi midi pour demander à téléphoner, avoir des cigarettes et aussi protester contre notre détention.......et là les gardiennes viennent faire un chantage « vous mangez et tout de suite après vous aurez le téléphone et les cigarettes, celles qui ne mangent pas resteront enfermées et n’auront rien ».La majorité acceptent de manger car prévenir les familles c’est aussi une cause vitale pour certaines, il faut comprendre ce contexte donc il n’y a aucun problème entre celles qui mangent et les autres.
Promesse tenue, après le repas les gardiennes apportent des cartes qui vont dans les 2 cabines de la cour, pour celles qui ont oublié leur numéro elles accompagnent les filles jusqu’à leurs affaires, les autorisent à ouvrir leur téléphone et montrer le numéro qu’elles veulent appeler. Puis elles amènent quelques cigarettes qu’elles distribuent au compte-goutte. Pour nous qui sommes restées enfermées (9), elles viennent nous dire « no eat, not out, no téléphone, no cigarettes »
Dans l’après-midi, l’avocat est là, 2 filles sont autorisées à le voir une par une, elles sont accompagnées à l’extérieur, ceci se passe avec plein de policiers autour, les filles disposent de quelques minutes car il est 17h00 et ils poussent l’avocat dehors.
Elles ont juste le temps de parler du garçon qui avait été mis au « cachot » (l’info était passée par Marie qui a eu le courage et l’habileté de garder son téléphone), et d’expliquer un peu notre situation.
Juste après le passage de l’avocat, un des policiers chef vient me voir pour me redemander la raison pour laquelle je ne mangeais pas, pour me dire que je ne gagnerai rien avec cette attitude provocatrice mais que, bon prince, on aurait quand même le droit de sortir avec les autres, par contre téléphone et cigarettes, non !
Mardi matin, personne ne mange sauf 2 ou 3 pour raisons personnelles, comme par hasard, il y a du pain, de la confiture mais le distributeur d’eau chaude est vide, il a fallu attendre un bon moment avant d’avoir une boisson chaude, les gardiennes nous mettent la pression pour qu’on mange, elles demandent de faire le ménage dans nos cellules, certaines cellules sont fouillées de fond en comble, est ce qu’ils ont un doute pour le tel ? en tout cas bravo Marie !
Dès que nous sommes enfermées nous crions des slogans, Palestine, Bethléem, nous réclamons un avocat, ce qui a le don de les énerver, les gardiennes appellent les policiers en renfort, ils nous filment, à chaque fois que la caméra passe on sourit en disant hello ! Ensuite on se remet à crier et à taper.
Le Consul arrive en fin de matinée avec un …responsable social ??, ils parlent longtemps avec les policiers, une des filles entend le Consul dire aux policiers « on va les calmer », en effet il nous dit que notre grève de la faim les agacent, qu’on n’a rien à gagner à les provoquer, qu’il faut qu’on accepte de rentrer quand ils le proposent, on lui rétorque, entre autres noms d’oiseaux, on n’a pas été tendres, qu’en aucun cas on n’accepterait de partir avant mercredi, qu’on voulait des livres et voir l’avocat, il a refait une liste de nos noms et il est parti.
On nous dit que le repas est servi dans le hall, on ne se déplace pas, ils remballent tout, une des filles qui désire manger s’entend dire « puisque les autres ne mangent pas vous non plus ! » on reste impassibles, ils nous observent, tout va bien, pas de discussions entre nous et quelque temps après, elles lui apportent un plateau, ils commencent à réaliser que nous diviser c’est mission impossible !
Nous sommes encore toutes dans la cour quand une gardienne vient nous dire qu’elle pourrait aller chercher dans nos sacs les livres si on en a, elle commence à inscrire les noms sur une liste, on est pas dupes, elles ont trouvé un moyen pour nous calmer, mais pour nous c’est important de pouvoir lire.
A ce moment des policiers hommes, apparemment des gradés, viennent dans le hall et discutent puis Charlotte et moi sommes convoquées, on nous dit d’un ton autoritaire « allez chercher vos affaires, vous partez « on répond qu’il n’en est pas question et qu’on n’ acceptera de partir qu’à compter de mercredi car aujourd’hui est une journée de solidarité et d’action, nous rejoignons les autres et tout de suite je dis « s’ils veulent nous emmener de force on fait la grappe ».
Ils se calment un moment puis ils nous rappellent en nous disant « comme vous avez refusé, c’est une procédure, il faut que vous voyez un psychiatre », on répond qu’on se sent très bien dans notre tête mais que s'ils veulent nous envoyer un psychiatre on le verra. Ils nous expliquent que le psychiatre reçoit dans un bureau dans un autre bâtiment, deux gardiennes, très gentiment, nous assurent qu’elles vont nous accompagner et nous ramener. Dans la mesure où nous étions vêtues du pyjama et des tongues fournies par la prison et qu’on laissait nos affaires dans la cellule, on hésite un peu puis on les suit en disant aux filles « à tout de suite ».
Elles nous emmènent dans une sorte de cabinet médical et nous font asseoir un moment dans ce qui ressemble à une salle d’attente avec des schémas médicaux sur les murs, puis elles se ravisent et nous disent que la psychiatre est occupée dans une autre prison et qu’elle va arriver et qu’on doit l’attendre dans un autre bureau, on les suit à nouveau et on se retrouve dans le bureau d’accueil de la prison qu’on reconnait tout de suite. Elles veulent nous faire rentrer dans une pièce annexe exiguë, munie de lit superposés et de WC, là où on s’était faites fouiller à l’arrivée, elle nous demande d’attendre là, on tergiverse puis on entre, et elles nous y enferment en disant on « reste là derrière la porte jusqu’à ce que la psy arrive » , il y a un trou dans le bas de la porte, accroupies on leur demande sans arrêt, c’est long encore ? Où est-elle ? Qu’est ce qu’elle fait ? Réponse « elle arrive ».
Un bon moment se passe, on entend des bruits de voix, un arrivage de policiers, puis on nous ouvre la porte pour nous pousser vers un bureau où étaient étalés nos portefeuilles, bijoux et autres….ils nous demandent de vérifier, là je leur dis non pas question on retourne dans nos cellules, on fera cela quand on partira. Un policier, grand, baraqué, se colle à mon épaule et dit d’un ton hargneux « tu rentres dans ton pays ».je dis non, non, je ne veux pas, ils referment nos sacs, nous entravent les pieds et nous poussent dehors dans un fourgon, ils nous enferment et là on a réalisé qu’on s’était faites piégées. A partir de là je n’ai plus fait de résistance, j’étais anéantie, je me sentais fatiguée, affaiblie par les 2 jours de jeûne, et découragée, on a été conduites à l’aéroport dans un local où il y avait des garçons de la mission qui ont pensé, en nous voyant arriver enchainées, qu’on était des droits communs.
On a été fouillées à fond, nues sous une aération froide, puis remises dans une salle d’attente et emmenées à l’avion , on nous a enlevé les chaines au bas de la passerelle, l’équipage AF, étonné de notre tenue pour le moins bizarre et identique, nous a bien reçues, on leur a tout expliqué, puis les garçons ont embarqué à leur tour, pendant le vol une passagère est venue discrètement nous dire « vous êtes des héros, je vous admire », ouah ! ce que ça fait chaud ! exactement comme l’accueil à l’arrivée à l’aéroport CDG nous a fait chaud également ! toutes ces personnes qui m’ont serrée dans leur bras, c’est exactement ce dont j’avais besoin, la chaleur, après avoir été traitée avec tant de haine dans les regards.
Ce qu’ils ne pourront jamais nous enlever c’est l’affectif, la solidarité et la détermination ; et vraiment dans ces circonstances cela a été très riche, bravo les filles !
Nicole