Loin de se laisser berner par un nouveau style,l’opinion publique arabe sait que la politique étrangère est soumise à des constantes auxquelles aucun président français ne peut déroger: la priorité de l’amitié avec Israël!
Il est évident que la politique étrangère française du président sortant Nicolas Sarkozy au Moyen-Orient a été perçue par l'opinion publique arabe comme arrogante, colonialiste, militariste voire anti-printemps arabe! Et cela ressort clairement de la réaction de la presse arabe qui s'est félicitée de la défaite de Nicolas Sarkozy face à son rival François Hollande. Voire certains y ont vu comme un soulagement..
Réaction de la presse arabe à la défaite de Sarkozy: bon débarras!
A commencer par la presse syrienne, pour qui Nicolas Sarkozy et son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé, ont été à la pointe du soutien au mouvement de rébellion armée contre le régime. "Le duo Sarkozy-Juppé dans les poubelles de l'histoire", titre à la Une le quotidien Al-Watan, affirmant : "Ces deux-là ont œuvré durant 15 mois pour trouver un moyen, via le Conseil de sécurité de l'ONU, pour détruire la Syrie, en utilisant de faux prétextes".
"Pour la première fois dans l'histoire des relations bilatérales, la France, sous le règne du duo Sarkozy-Juppé, a fermé son ambassade en Syrie. Elle a accueilli et participé aux réunions contre la Syrie", rappelle Al-Watan.
Dans l'hebdomadaire marocain Tel Quel, Karim Boukhari, directeur de la publication et de la rédaction écrit:"Jamais, depuis Sarkozy, la France officielle n’a semblé aussi conciliante avec le pouvoir marocain, passant sous silence tous ses manquements. Plus que du temps de Chirac, pourtant ami personnel du souverain marocain, les intérêts économiques de la France ont pris le pas sur tout le reste. C'est dommage. Même les grands médias de l’Hexagone, journaux et télévisions compris, ont semblé étrangement laudateurs, louant sans réserve "l’évolution" marocaine. Etrange, donc, et surtout décevant. Les démocrates et progressistes marocains ne l’ont pas oublié, tout au long des années Sarkozy".
Pour sa part, le quotidien algérien El-Watan souligne que " le candidat Hollande est allé au Pont de Clichy le 17 octobre dernier en gage de respect à la mémoire des manifestants algériens assassinés en 1961 par la police française". Et, s'interroge: " Le président Hollande fera-t-il un autre geste le 5 juillet prochain date de la célébration du cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie ? La guerre mémorielle cèdera-t-elle la place à la reconnaissance des crimes coloniaux ?"
De Sarkozy à Hollande: une même politique étrangère pour le ... Moyen-Orient à quelques nuances près!
Toutefois, loin de se laisser berner par un nouveau style, de nouvelles paroles, une nouvelle approche des dossiers chauds, l'opinion publique arabe sait que la politique étrangère est soumise à des constantes auxquelles aucun président français ne peut déroger: à commencer par la relation d'amitié, quasi-inébranlable (hormis des hauts et des bas normaux dans toute relation) de la France avec Israël!
Selon Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Nicolas Sarkozy et François Hollande ne sont pas aux antipodes l'un de l'autre..
Ainsi, sur le Proche-Orient les deux candidats ont les mêmes principes : garantir la sécurité d'"Israël", reconnaître un État palestinien peu ou prou dans les frontières de 1967, et le partage de Jérusalem. Considéré comme plus pro-israélien que son concurrent (il a obtenu 83 % des suffrages des Français établis en Israël au premier tour de l'élection présidentielle et plus de 90 au second), Nicolas Sarkozy a pourtant déclaré faire de la création d'un État palestinien une priorité pour un éventuel second mandat. Mais comment y parvenir ? La France a décidé d'avoir de bonnes relations bilatérales avec "Israël", quel que soit l'état du processus de paix. Ceci ne date pas de l'élection de Nicolas Sarkozy, mais d'un tournant pris peu après la guerre d'Irak par Chirac et Villepin.
A ce titre, François Hollande avait annoncé avant son élection, un voyage en Israël en précisant qu'il prendrait des initiatives pour favoriser, par de nouvelles négociations, la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine. Et qu'il soutiendrait la reconnaissance internationale de l'État palestinien"..
Par ailleurs, il avait aussi affirmé qu'il était "totalement opposé au boycott des produits israéliens, qui est illégal et qui ne sert pas la cause de la paix" selon ses termes.
Sur l'Iran, François Hollande était en accord avec son prédecesseur puisque les deux hommes jugeaient dangereuses toute action militaire contre l'Iran: "Une action militaire unilatérale serait inopportune et dangereuse. Personne ne peut en garantir l’efficacité et chacun en voit bien les risques d’engrenage. La voie diplomatique doit rester ouverte pour amener l’Iran à se conformer à ses obligations internationales en matière de non-prolifération nucléaire. Tous les efforts doivent être mis en œuvre pour parvenir à une issue négociée en lien étroit et constant avec nos partenaires. Je souhaite que le dialogue avec l’Iran se tienne sur des bases solides et sérieuses. Dans le même temps la communauté internationale doit, au travers des sanctions, marquer sa détermination : nous ne pouvons pas laisser l’Iran se doter de l’arme nucléaire", a affirmé M.Hollande.
Interrogé par l'hebdomadaire français le Nouvel Observateur sur s'il fallait armer l’opposition en Syrie, François Hollande a estimé qu' " il y a des moments où le principe de non-ingérence, par ailleurs respectable, ne tient plus. La communauté internationale doit exercer sa responsabilité de protéger les populations. Dans ce contexte, la coalition qui vient en aide au peuple syrien ne peut évidemment pas alimenter la confrontation militaire directe mais elle doit tout faire, avec l’aide des pays voisins qui y sont prêts, et grâce à la mobilisation de la Ligue arabe, pour venir directement en aide aux populations" .
Concernant l'adhésion de la Turquie en Europe, François Hollande a exprimé les même réserves que Nicolas Sarkozy mais il a en même temps reconnu le rôle stratégique de la Turquie en Syrie : " L’Union européenne a octroyé à la Turquie le statut de candidat à l’adhésion. Nous devons poursuivre les négociations de bonne foi et laisser les peuples européens et turc décider le moment venu. Ce sera nécessairement un processus long qui n’aboutira pas dans le prochain quinquennat, car les obstacles restent nombreux : la consolidation de la démocratie en Turquie doit être achevée, la question de Chypre doit être résolue, les autorités turques doivent reconnaître la réalité du génocide commis contre le peuple arménien. Il nous faut poursuivre ou plutôt renouer notre dialogue avec la Turquie dans un cadre apaisé : la montée des tensions entretenue à des fins politiciennes par Nicolas Sarkozy depuis cinq ans n’est pas conforme aux intérêts de notre pays, de l’Europe et de la paix. On le voit aujourd’hui alors que le rôle de la Turquie est stratégique en Syrie et dans le contexte des suites des printemps arabes.
Sur l'Afghanistan, il y a un accord entre les deux candidats sur la nécessité du retrait des troupes françaises. La différence est dans le calendrier, beaucoup plus rapide chez Hollande, adaptée au rythme des États-Unis chez Sarkozy. Si François Hollande a dit ne pas remettre en cause la réintégration de la France dans l'OTAN, il hésitera moins à faire valoir la différence de la France. Il devrait marquer son opposition sur l'idée d'un bouclier antimissile. Obama s'y est rallié sur la pression du complexe militaro-industriel, alors qu'il doutait de son utilité, de son efficacité et de son financement. Ce bouclier est contraire à l'idée de dissuasion et relancerait la course aux armements. Hollande pourrait à cette occasion retrouver la posture de Mitterrand face à la guerre des étoiles de Reagan .
Différences de style certes... et de fond aussi?
Cela dit, les différences de style comportent également des différences de fond, Nicolas Sarkozy est plus un homme de "coups", François Hollande est plus un homme de synthèse. Nicolas Sarkozy agit comme un avocat qui traite les dossiers les uns après les autres, avec énergie mais sans nécessairement faire un lien entre eux. François Hollande agit plus comme un architecte qui prend plus de temps pour bâtir une conception d'ensemble.
C’est l’avis de Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS , qui estime que François Hollande changera de méthode. "Il réhabilitera le ministère des affaires étrangères, sinistré et marginalisé. Il renoncera au classement des civilisations. Il remettra à l'ordre du jour l'aide publique au développement, mais sans guère de moyens pour l'abonder. Il se gardera de recourir aux armes en Afrique subsaharienne et tournera le dos aux réseaux d'influence traditionnels".
"Il maintiendra les sanctions à l'encontre de l'Iran, mais en ménageant certains intérêts français, à l'instar de ce que font les Etats-Unis avec les leurs. Il poursuivra la quête d'un partenariat stratégique, aussi impossible que nécessaire, avec la Russie, mais avec moins de complaisance. Il rééquilibrera la relation avec Israël sans remettre en cause l'amitié de la France. Il se heurtera lui aussi à l'intransigeance de l'Algérie, et se gardera à son tour de dénoncer son jeu trouble dans le Sahara" poursuit J-F Bayart.
Or, il faut le dire, l'islam et l'immigration ont beaucoup été mis en avant dans le combat électoral, ce qui n'a guère contribué à aggrandir l'image de la France, dans les pays arabo-musulmans ou africains, déjà ternie entre autres par la guerre en Libye et la crise syrienne.
Au contraire, l'opinion publique arabe n'est pas dupe, la victoire de Hollande sur Sarkozy est avant-tout un référendum contre Sarkozy soutenu par un désir profond de changement face à une situation socio-économique insoutenable!
Par conséquent, même si la campagne électorale de François Hollande n'a guère évoqué les grands dossiers internationaux qui concernent notre région, il est clair que la politique moyen-orientale de l'un comme de l'autre restera toujours néocoloniale avec quelques nuances prés, sans doute liées au style et à la personnalité de chacun!