Il craint en Syrie la répercussion de l’expérience taliban en Afghanistan
L’ancien secrétaire d'Etat américain, Henry Kissinger, a mis en garde dimanche du danger d'une intervention militaire en Syrie, car elle ébranle le système mondial.
Dans un article publié au «Washington Post», Kissinger rappelle que le concept moderne du système mondial remonte au "traité de Westphalie» signé en 1648, qui avait mis fin à trois décennies de guerre. Il mentionne que durant cette phase, les antagonistes envoyaient leurs armées à travers les frontières pour imposer de force leurs conceptions religieuses, signalant que plus d'un tiers de la population de l'Europe centrale ont été tués dans cette phase.
Pour éviter des massacres similaires, explique Kissinger, le traité de paix a mis au point le concept de l'Etat moderne indépendant et souverain, un concept basé sur deux éléments : la souveraineté sur le territoire du pays et l'absence de tout rôle extérieure dans les affaires internes du pays.
Faisant remarquer que le système «Westphalie» a été diffusée par la diplomatie européenne dans le monde, Kissinger souligne que les fondements et les valeurs de ce traité n’ont jamais été appliqués complètement au Moyen-Orient. Selon lui, « seuls la Turquie, l'Egypte, et l'Iran ont une histoire. Tandis qu’un grand nombre de pays arabes ont vu leurs frontières manipulées dans les traités imposés par les puissances européennes victorieuses de la Première Guerre mondiale ».
Kissinger pense que parce que ces puissances n’ont pas accordé assez d’importance à la diversité ethnique et sectaire en délimitant les frontières de l’Orient arabe, celles-ci, relativement nouvelles, font l’objet de multiples défis, la plupart étant de nature militaire.
Il estime que la diplomatie créée par les révolutions du printemps arabe a écarté les principes de «Westphalie», dès lors l’affaire entre l’autorité et les oppositions est devenue une question de vie ou de mort, et les négociations échouent entre elles. « Alors qu’elles font preuve du même niveau de force et de persistance, l’on recourt à une intervention étrangère pour sortir de l'impasse », constate-t-il.
Ici, Kissinger souligne que ce type d'intervention se distingue de la politique étrangère traditionnelle, car elle justifie une violation des principes de la façon dont la gouvernance mondiale. " Si une telle forme d'intervention est adoptée comme un des piliers de la politique étrangère, cela soulève des questions sur une plus grande échelle sur la stratégie des États-Unis. L'Amérique serait-elle obligée de soutenir une insurrection populaire contre un régime non démocratique, même si le système constitue la pierre angulaire de la stabilité du système mondial en général? ", se demande Kissinger.
Il s’interroge aussi : «si l'Arabie saoudite reste l’allié de l'Amérique jusqu’à jour où un soulèvement a lieu,... ? Sommes-nous prêts à donner le plein droit à d'autres pays pout intervenir partout à la place d'un frère de sang ou d’un coreligionnaire?".
Il estime d’autre part que les impératifs stratégiques de l'intervention traditionnelle n’ont pas encore disparu, sachant que le renversement d’un régime génère la nécessité absolue d’édifier un État, ce qui menace le système mondial en entier s’il s’avère impossible.
« Par ailleurs, le vide dans le pouvoir fait exploser le chaos et tue la primauté du droit, comme au Yémen, en Somalie au nord du Mali, en Libye et peut-être en Syrie dans les prochains jours. La raison est due au fait que l'effondrement de l'Etat peut le transformer en un foyer de terrorisme et un canal pour la contrebande d'armes pour lutter contre les pays voisins », explique-t-il.
En ce qui concerne les appels pour l'intervention humanitaire et stratégique dans la crise syrienne, Kissinger pense que les Etats-Unis ont un intérêt stratégique pour intervenir dans un État « qui a aidé l'Iran d’une façon stratégique dans la région du Levant et la Méditerranée », a appuyé le Hamas, « le mouvement, qui ne reconnaît pas l'Etat d'Israël », et le Hezbollah qui selon lui constitue «une pierre d'achoppement qui se dresse en face de l'unité du Liban ». Et Kissinger de s’interroger : « Mais d'autre part, tout intérêt stratégique peut-il servir de raison suffisante pour aller en guerre, quand il ne reste pas la moindre chance à la diplomatie? »
Émettant des doutes quant aux chances et perspectives de l’intervention américaine en Syrie, Kissinger rappelle que les Etats-Unis ont retiré leurs troupes d'Irak, et sont en passe de le faire d'Afghanistan. «Aussi comment justifier une autre intervention qui porte les mêmes défis qui ont émergé dans les deux pays mentionnés? », demande-t-il.
« Qui donc va remplacer l'ancien pouvoir après l’avoir renversé ? Que savons-nous au sujet de la nouvelle autorité? Serait-elle capable de mettre fin à la crise humanitaire pour laquelle nous avons intervenu militairement? Ou voudrions-nous répéter l'expérience des Talibans en Afghanistan, que l’Amérique avait armés, pour combattre l'envahisseur soviétique, et qui sont devenus par la suite un défi pour sa sécurité? »
Faisant la distinction entre l’intervention humanitaire et l’intervention stratégique, il constate que la première nécessite un consensus, ce qui est difficile à réaliser.
Il signale deux conditions pour l’intervention : « un consensus sur la forme du gouvernement après le renversement du régime, car si l'objectif a été de nommer un gouverneur spécifique, ceci menace de prendre le pays vers la guerre civile. Quant à la deuxième condition, son objectif politique devrait être clair et réalisable au cours de la période de temps sélectionné ».
«Je doute que ces deux conditions puissent être réalisées dans la question syrienne. Nous ne pouvons être traînés d'un mode à l'autre dans un conflit sectaire croissant, et lorsque nous réagissons à une catastrophe humanitaire se produit, nous devons être prudents que nous ne serons pas la raison d’une autre catastrophe », conclut-il son article.