Dans la bataille de Wadi el-Hujeir, qualifiée par les Israéliens de « grande guerre au sein de la grande guerre » et où l’avenir de la guerre a été tranché, l’unité militaire israélienne 162 « a vécu un enfer et rien d’autre ».
Mohammad Nazzal
Il n’était pas une légende. Il était réel comme une légende. « L’exterminateur de la légende du Merkava » est passé par là. Il vivait parmi nous, mangeait notre pain et buvait notre eau. Aucun ouvrage ou film n’a narré sa vie. Il est parti, ordinairement, sans bruit. Cette âme ardente devait se reposer, après des années de lutte, pour que la terre du Liban Sud accueille son corps.
Le martyr Ali Saleh se repose dans le cimetière du village Adchit, au Liban sud. Rien ne distingue son tombeau de ceux qui l’entourent, sauf les mots « exterminateur de la légende du Merkava ».
Depuis six ans, et durant les derniers jours de la guerre de juillet 2006, il est venu à Wadi el-Hujeir pour créer l’histoire. Il a su que l’Israélien a décidé d’arriver à la rive de la rivière Litani. Il a compris que les sionistes veulent à tout prix se photographier près des eaux, déjà à leur portée avec leur entrée dans la vallée. On l’a entendu dire : « nous devons arrêter leurs tanks à tout prix ». C’étaient ses derniers propos. Il est parvenu à le faire. Il les a arrêtés. Ses compagnons l’ont observé courir entre un tir de « Cornet » et un autre. Il a lancé tous les missiles antichars de son carquois. Il a recherché d’autres. Les agresseurs n’ont pas douté que les missiles qui les visaient provenaient d’une seule personne. Il se déplaçait de l’ombre d’un arbre à un autre, d’un roc à un autre, sans qu’aucun de ses missiles ne rate sa cible.
Chaque fois qu’il lançait un missile, un obus s’abattait sur le lieu. Les années de combat lui ont appris de prendre garde. Un drone a survolé la région pour le localiser. Ses compagnons l’ont exhorté à se retirer. Il a décidé de faire le sourd. Leurs chars doivent être à tout prix détruits. C’était sa décision. Plusieurs apprentis suivent la voie du martyr dans l’usage des antichars. Ils ne cessent de narrer ses actes héroïques. Il est désormais leur icône sacrée.
Dans la bataille de Wadi el-Hujeir, qualifiée par les Israéliens de « grande guerre au sein de la grande guerre » et où l’avenir de la guerre a été tranché, l’unité militaire israélienne 162 « a vécu un enfer et rien d’autre ». C’est ce qu’a rapporté le quotidien Yediot Ahronot, citant un des soldats de la force, qui n’a cru pouvoir sortir vivant d’un lieu où « on voit la mort de ses propres yeux ». Le martyr Ali Saleh a déçu le contingent de « parachutistes » israéliens. Ils ont atterri dans le village Ghandourieh, pour assurer le passage des tanks dans la vallée « Wadi el-Hujeir » et aussi pour détecter les embuscades de la Résistance. Mais ni les tanks ont franchi la vallée ni les embuscades ont été détectées. Contrairement au plan des israéliens, au moment où Ali affrontait les chars dans la vallée, ses compagnons exterminaient le contingent des parachutistes. On avait dit que treize de ses membres ont été tués ou blessés.
Durant 33 jours, Ali Saleh combattait sur plusieurs fronts. Il a été aperçu pour la dernière fois avant quatre jours du « massacre des Merkava » de Wadi el-Hujeir, dans son village Adchit, au nord du fleuve. Le commandement de la Résistance ne voulait pas le perdre, car la guerre pourrait durer et son rôle serait crucial si les tanks de l’ennemi passaient le fleuve. Il n’a pu patienter. Il aurait pu charger ceux qu’il a entraînés pour accomplir la mission, mais durant une bataille où l’erreur est interdite, il a insisté auprès du commandement en le suppliant de lui permettre de participer au combat. Son désir a été exaucé. La Résistance a compté vers quinze « Merkava » détruits par les mains d’Ali Saleh.
Bilal (nom militaire d’Ali Saleh) ne savait pas que l’opération d’enlèvement des soldats israéliens le 12 juillet serait la dernière à laquelle il participe. Durant toutes les opérations exécutées après la libération en 2000, il empoignait jalousement son missile.
Les compagnons de Ali Saleh affirment aujourd’hui qu’il était le héros de l’opération « Ezzieh », effectuée avant la libération. C’était lui qui avait ciblé la fente du bunker, à partir de laquelle le soldat israélien tirait. Il était l'un des plus habiles dans le lancement des missiles antichars « Maltoka » et « Sagger ».
L’image du soldat israélien ballotté dans l’air est encore inscrite dans la mémoire de toux ceux qui ont observé le film de l’opération. Cette opération qui a beaucoup nui aux israéliens à cause de la gravité du site stratégique. Sauf son héros n’a pas alors été déclaré. Rares sont les résistants qui savaient que c’était « Bilal ». Mais comme leur habitude, ils ont jalousement gardé le secret.
Aujourd’hui, l’âme de Ali Saleh plane au dessus de « Jabal Amel » (Liban Sud) et il est devenu possible de citer son nom et de lui attribuer les actes héroïques.
Multiples sont les affrontements auxquels a participé « Bilal ». Il fut blessé à trois reprises avant la libération. L’une en 1995 sur le front de Nabatiyeh et précisément sur la route entre les postes israéliens de Dabcheh et de Zaffeteh. Il fut blessé dans la main et la jambe, mais la blessure de son compagnon « Abou el-Fadel » était plus dangereuse. Les deux résistants ont été touchés par l’obus d’un tank israélien. D’où son ancien désir de revanche. Obstiné, en dépit de sa blessure, il a transporté son compagnon loin de la scène de la bataille, avec l’aide de Abbas Yassine, qui est tombé lui-même en martyre dans une autre opération.
La mission de « Bilal » était de lancer des roquettes B10. Durant le chemin du retour, il a plaisanté avec son accent de Libanais originaire du sud, avec son compagnon portant la mitrailleuse « BKC », ayant deux supports : « mon cher, tu le portes toujours avec ses deux jambes ».
Variées sont les anecdotes qu’on lui attribuait, ce qui reflétait son autre image, d’homme poli, doté d’un bon cœur. Quelques années après, lors d’une nouvelle opération de la résistance, sur le même front, « Bilal » est monté à bord d’un tank israélien. Il y a jeté une bombe et s’est éloigné pour l’observer tout en flamme. Plusieurs soldats israéliens y sont tombés entre morts et blessés. C’était l’un de ses excès de bravoure, dont se rappelle un de ses compagnons. La main de « Bilal » a été cassée durant l’opération. Mais il n’a pu attendre sa convalescence. Il était pressé de rejoindre le front.
Un autre compagnon de Ali Saleh, ne comprend pas toujours, comment « Bilal » est parvenu à étrangler un chien de garde. Le groupe de résistants était chargé d’accomplir une mission au sein de la zone occupée. Face à un chien dont l’aboiement aurait pu révéler le lieu du groupe, ce qui l’exposerait à l’échec ou à la mort, « Bilal » l’a fait. Il a ensuite caressé la tête du chien étranglé en disant : « excuse-moi, je suis contraint de le faire ».
Sa mère prie ceux qui l’interrogent sur son fils, à poser la question aux citoyens du village. Sa réputation ne diffère pas de celle des autres martyrs de la Résistance : sérieux dans son travail, modeste parmi les gens, agréable, et toujours prêt à assister ses concitoyens. Il s’est même qualifié de « servant ». Il n’avait pas obtenu de diplômes académiques, mais il était doté d’un esprit vif et d’un œil d’aigle. Il a rarement raté sa cible. A Wadi el-Hujeir, les drones israéliens et les canons des tanks furent perplexes. Ils semblaient dire : « quel est le problème de cette source de feu qu’on ne peut pas toucher ? » Il a parfaitement accompli sa mission et a eu la certitude, tout comme ses compagnons, que le contingent de « Merkava » a été détruit.
Enfin, il a été prêt à être touché. Le missile guidé d’un drone « MK » l’a atteint. Il n’est pas mort sur le champ, comme s’il était intouchable. Il a été blessé et évacué vers l’hôpital où il est demeuré vingt jours entre la vie et la mort. Il s’est réveillé une fois pour savoir que la guerre a pris fin par la victoire. Cette fois il a fermé les yeux pour toujours, jouissant de la victoire et du martyre.
Après le cessez-le-feu, un analyste militaire israélien a indiqué que la bataille de Wadi-el-Hujeir était « l’une des plus importantes, menées par l’armée dans les derniers vingt ans ». Ali Saleh est tombé en martyre à 31 ans. Il avait trois fils et une épouse enceinte. Son dernier fils est né après le martyre de son père. La famille l’a nommé « Bilal ». On a rapporté que le sayed Hassan Nasrallah a pleuré lorsqu’il a été informé du martyre de Ali Saleh.
« Le destructeur de la légende Merkava » a aujourd’hui des compagnons et des frères qui empoignent toujours leurs armes, les yeux rivés vers le Sud. L’un d’eux récitait une prière depuis quelques jours, près du tombeau de Ali. Il s’est ensuite dirigé vers les tombeaux des martyrs Abou Ali Rida Yassine et Abbas Khreibani. « Nous nous souviendrons d’eux avec chaque brise de mer, avec chaque gazouillement d’oiseau, sur la terre fière du Liban sud. Nous avons combattu sans merci, durant trente trois jours d’enfer. Notre victoire a marqué l’ennemi pour toujours…sans qu’il n’entende une plainte de notre part », a-t-il noblement dit.
Source: Al Akhbar, traduit par: moqawama.org