Notre correspondante en France Eline Briant s’est rendue samedi sur place : au Trocadéro et à la mosquée de Paris. Le nombre des policiers dépassaient celui des manifestants.
Voici l'histoire d'une journée pas comme les autres, un jour de manifestation interdite, un jour où la police de France fit régner par la force, l'ordre et le silence des croyants blessés.
En ce samedi 22 Septembre, il y a du monde, beaucoup de monde au Trocadéro...
Tout paraît normal, sur cette place des plus touristiques de Paris, mise à part la présence massive de CRS (Compagnies républicaines de sécurité), « des soldats en bleu » commentaient des touristes mexicains qui se trouvaient à côté de moi.
Plus tard on apprendra qu'ils étaient plus de 300 sur cette seule place et les rues alentour.
Les associations musulmanes de France, « Touche pas à mon Prophète (PSLF) » en tête, s'étaient donnés le mot via les réseaux sociaux pour une manifestation au départ de la place en passant par la Bastille pour finir place de la concorde, non loin de l'ambassade américaine.
D'autres journalistes sont également présents et attendent une manifestation qui n'aura pas lieu. Les organisateurs préférant « ne pas tomber dans le piège qui leur a été tendu », mettant en avant les tentatives de manipulations de certaines parties extrémistes qui pourraient saper l'image de l'Islam en France.
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur a appelé les croyants à garder leur calme.
Le président du Conseil du culte musulman a réitéré vendredi matin sur RFI, son appel "à ne pas manifester". Mohammed Moussaoui a estimé que si "l'indignation des musulmans de France est légitime, le contexte actuel fait que manifester dans les rues n'est pas la solution".
La veille, le ministre de l'intérieur Manuel Valls avait donné des "instructions très fermes" pour interdire toute manifestation. Rappelons qu'en cas de maintien, tout initiateur risquait jusqu'à 6 mois d'emprisonnement et 7500 euros d'amende.
Impressionnée par la présence théâtrale de ces « militaires » du civil, je préfère me mettre de côté pour jauger la situation et surtout l'ambiance électrique…
Au Trocadéro, il y a des musulmans certes, mais éparses. Certains, très peu nombreux, attendent comme moi, d'autres sont des touristes en provenance du monde.
Puis, surgissant de nulle part, un bataillon de CRS, se poste droit tout autour de moi en un véritable mur d'acier, de matraques et de pistolets.
Sans un sourire, on me demande mes papiers... J'obtempère sans résistance...
Les contrôles d'identité je connais... Mais celui-ci dure particulièrement longtemps... Que font-ils, que cherchent-ils? Je ne le saurais pas...
Les soldats en bleu sont toujours postés devant moi, le visage dure, me scrutant, leur main prête à dégainer leur flash-ball... J'en ris... et me questionne: « Un stylo bille est aussi dangereux que cela?? »
Visiblement pincé par cette petite boutade, l'un d'eux qui répondait à un touriste s'étonnant de leur présence lança qu'elle est nécessaire pour éviter pickpockets et … terrorisme !
Près de 30 minutes plus tard, on revient, me rend mes papiers puis me prie « de bien vouloir quitter le parvis du Trocadéro».
Là, s'en est trop... Je reste assise... Journaliste, pas question de me faire expulser comme une « délinquante islamiste »!
Je souhaite connaître les raisons exactes de mon expulsion, leur rappelant bien pourquoi je me trouvais sur la place...
Mais rien ne sera dit, mis à part qu'ils ne font que répondre aux ordres strictes d'empêcher toute forme de protestation...
Je suis contrainte de me lever et sous escorte rapprochée d'une dizaine de CRS aux costumes très « Iron man », je quitte le parvis de la place pour me rendre à la Grande mosquée de Paris, deuxième point de rencontre probable pour d'autres mouvements de protestation.
Là aussi tout le quartier est bloqué... Déviations, bouchons, et chaos règnent tout autour du périphérique quadrillé...
Après avoir passé tant bien que mal les barrages de la police, j'arrive à proximité de la mosquée et là... je crois me trouver dans un véritable no mans land... les rues vides, les CRS de partout, les commerces de proximité fermés... Je ne m'arrête pas et sors immédiatement.
Dans le quartier où la majorité des habitants sont d’origine maghrébine, personne ne veut en parler... Je décèle une peur ourdie d'une prise de position qui pourrait les mettre dans une situation ambiguë entre leur amour pour le Prophète et leurs soucis d'intégration dans une France de plus en plus radicalisée concernant la religion musulmane.
Pour eux, pas question de « rentrer » dans des problèmes « qui ne nous concernent pas ».
Ce n'est qu'une fois à l'extérieur que les langues se délient... Musulmans comme non musulmans, interrogés sur leur point de vu concernant le déroulement des évènements s'entendent presque tous à dire qu'un deux poids deux mesures règne sur la liberté d'expression en France.
Plus tard dans l'après-midi, j'apprenais qu'à Marseille, un homme, un seul, osa défier la police, et l'interdiction de protester.
Omar Djellil, un responsable d'association, avait appelé à une manifestation samedi à 14h00 dans le quartier de la Porte d'Aix, pour laquelle la préfecture n'avait pas reçu de demande d'autorisation.
Après avoir parlé à la presse, alors entouré de quelques 70 CRS appuyé d'un hélicoptère, le manifestant a collé trois affichettes sur lesquelles était notamment écrit "Porcs Hebdo" et "les Français musulmans n'ont pas besoin d'autorisation pour défendre leurs droits".
"Je suis peut-être seul aujourd'hui mais je suis le porte-parole d'une majorité silencieuse", a lancé M. Djellil du haut d'un bloc de ciment.
En brandissant haut son passeport, il s'est dit prêt à être placé en garde à vue, il a sommé le ministre de l'Intérieur Manuel Valls "de prendre ses responsabilités ou de se taire à jamais".
Aujourd'hui d'aucun se souvient la déclaration choc de ce même ministre lorsqu'il affirmait: « Quand la communauté juive est attaquée c'est toute la France qui l'est ».
Et de regretter que la communauté musulmane, de toute évidence, ne bénéficie pas de la même approche...
Eline Briant