Le chômage, dont les autorités estiment qu’il dépassera l’année prochaine le taux record de 16%, contraint chaque année plus de 120.000 Portugais à quitter leur pays.
Chaque jour des centaines de chômeurs se rassemblent sur les bords du Tage, dans la banlieue de Lisbonne, à la recherche d'un improbable trésor, enfoui dans la vase : des palourdes qu'ils revendent illégalement pour subsister et échapper à la crise qui frappe le Portugal.
"Ici, il n'y a que des sans emplois", indique Carla, 34 ans, qui creuse la vase sous un soleil de plomb à deux pas de l'impressionnant pont Vasco de Gama, l'un des plus grands viaducs d'Europe, symbole de la modernité et de la prospérité auxquelles le Portugal aspire. Comme Carla, qui a perdu le travail qu'elle avait à la poste, des universitaires, des ingénieurs, des employés, victimes des coupes budgétaires et des licenciements collectifs, ratissent patiemment la boue pour recueillir les précieux petits mollusques.
Le chômage qui frappe plus de 15% de la population active est devenu un véritable fléau au Portugal, qui, en proie à une crise financière sans précédent, a obtenu en mai 2011 de l'Union européenne et du Fonds monétaire internationale un prêt exceptionnel de 78 milliards d'euros sur trois ans.
"Les chercheurs de palourdes sont de plus en plus nombreux, au moins cinq fois plus qu'il y a un an", assure le compagnon de Carla, Pedro Safara, ancien mécanicien de la compagnie aérienne nationale TAP. Pedro et Carla ont récemment perdu leurs droits aux allocations chômage et les palourdes, qui constituent désormais leur seul revenu, leur rapportent chacun environ 400 euros par mois. Mais ce pactole peut fondre d'un seul coup si la police s'en mêle. Très réglementée, la collecte des palourdes, est interdite aux pêcheurs occasionnels. Dans l'estuaire du Tage, seuls une trentaine de bateaux, dûment enregistrés sont autorisé à la pratiquer. Des amendes de l'ordre de 500 euros frappent parfois les pêcheurs illégaux tandis que depuis 2011, la police a saisi 70 tonnes de palourdes pêchées sans autorisation. Heureusement pour les ramasseurs, les policiers sont rarement sévères avec ceux qui creusent la vase. Ils s'intéressent plutôt à ceux qui louent des petits bateaux et s'en vont pêcher à la traîne ce qui leur permet d'obtenir de bien meilleures récoltes. Une fois collectées les palourdes "illégales" ne font l'objet d'aucun contrôle sanitaire.
"On dit que ces palourdes sont toxiques, mais personne ne s'en est jamais plaint", remarque Carla tout en continuant de fouiller la vase à l'aide d'une petite pioche. De fait, les acheteurs ne s'interrogent guère sur leur origine, et une cinquantaine de petits restaurants sont toujours disposés à en acquérir. Les pêcheurs amateurs les vendent entre 2,5 et 4 euros le kg, bien moins cher qu'au marché où elles dépassent souvent les 10 euros le kg. Très appréciées des Portugais, les palourdes, accompagnées de petits morceaux de porcs, constituent l'un des fleurons de la gastronomie locale: la fameuse "viande de porc à l'alentejana". A la retraite, le père de Pedro ramasse lui aussi des palourdes. "Ca me permet de compléter ma pension", indique-t-il. "Je n'imaginais vraiment pas avoir un jour à ramasser des palourdes pour subsister", indique Carla. "Mais si je n'avais pas trouvé ça, j'aurais sans doute du émigrer", ajoute la jeune femme dont les trois frères vivent en Hollande.
Le chômage, dont les autorités estiment qu'il dépassera l'année prochaine le taux record de 16%, contraint chaque année plus de 120.000 Portugais à quitter leur pays dont l'économie devrait cette année reculer de 3% en raison du sévère programme de rigueur exigé par les créanciers du Portugal. Excédés par les mesures d'austérité que le gouvernement souhaite renforcer, des centaines de milliers de Portugais ont manifesté le 15 septembre à Lisbonne et dans une trentaine de villes du pays, peut-être la plus forte mobilisation depuis le Révolution des Oeillets de 1974 et l'instauration de la démocratie. "Pour que le pays change il faudrait peut-être faire à nouveau la révolution", commente Carla.