Papier d’angle de l’AFP.
Benoît XVI veut mettre tout le poids de l'Eglise pour contribuer à la paix en Syrie, en y envoyant une délégation de personnalités de premier plan : un geste jugé courageux mais tardif et délicat dans un pays où les chrétiens sont divisés entre partisans et adversaires de Bachar Al-Assad.
Mardi, devant quelque 300 participants au synode sur la "Nouvelle évangélisation", le bras droit du pape, le cardinal italien Tarcisio Bertone, a annoncé qu'une délégation serait envoyée "pour exprimer la solidarité fraternelle" du synode "avec toute la population".
Elle devrait se rendre "la semaine prochaine" à Damas, le temps de remplir les formalités nécessaires avec le nonce, Mgr Mario Zenari, et les autorités locales.
Les évêques ne pouvaient "rester de simples spectateurs" face à un drame dont "la solution ne peut être que politique", a expliqué Mgr Bertone.
La délégation encouragera "tous ceux qui sont engagés dans la recherche d'un accord respectueux des droits et des devoirs de tous, avec une attention particulière à ce que prévoit le droit humanitaire", a-t-il insisté.
Elle apportera le fruit d'une collecte des évêques pour les victimes du conflit.
Les interlocuteurs de la délégation ne sont pas connus, mais l'importance de cette dernière est sans précédent depuis longtemps au Vatican.
Le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, a souligné sur les ondes de Radio Vatican que "le geste en lui-même a(vait) une importance significative. On a voulu que l'Eglise universelle soit représentée".
Outre Mgr Tauran et le "ministre" des Affaires étrangères, Dominique Mamberti, des poids lourds de divers continents seront présents : le Congolais Laurent Monsengwo, archevêque de Kinshasa, très impliqué dans les efforts de paix en RDC, le Colombien Fabio Suescun Mutis, le Vietnamien Joseph Nguyen
Nang, l'Américain Timothy Dolan, archevêque de New York, un des hommes qui montent dans l'Eglise. Des représentants de pays qui ont connu ou connaissent des conflits, a-t-on souligné au Vatican.
Au moment de l'annonce de cette mission, l'évêque syrien Grégoire III Laham, patriarche de l’église catholique melkite, au bord des larmes, a affirmé que cela "dépassait toutes les attentes" des évêques arabes, selon un témoin à la session.
Ces évêques ont sans cesse exprimé devant le synode leur crainte d'un islam dominateur, mettant en doute la possibilité d'un vrai dialogue.
"Solidarité"
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Les catholiques syriens ont été longtemps majoritairement favorables au régime laïc de Bachar al-Assad, qui protégeait leurs droits en tant que minorité.
Au fur et à mesure de l'aggravation de la répression, certains d'entre eux ont rejoint l'opposition, mais une autre partie semble rester aux côtés du régime, de crainte d'une arrivée des islamistes au pouvoir.
Ce qu'avait contesté le mois dernier le patriarche maronite libanais, Mgr Béchara Raï : "aux Occidentaux qui disent que les chrétiens soutiennent le régime syrien, je dis : les chrétiens sont avec l'Etat et non pas avec le régime", avait-il dit à l'AFP.
La position du Vatican a longtemps paru trop en retrait vis-à-vis de la politique répressive suivie par les autorités. Le nonce, Mgr Zenari, a pris une position équilibrée, refusant d'entrer dans le discours anti-islam et alarmiste de certains religieux catholiques.
Pendant sa visite mi-septembre au Liban voisin, Benoît XVI, avocat d'un dialogue respectueux entre chrétiens et musulmans dans la région, avait demandé l'arrêt des livraisons d'armes, salué le "courage" des jeunes Syriens et appelé les pays arabes à "proposer des solutions viables". Mais il n'avait pas nommément condamné le régime.
George Sabra, chrétien et porte-parole du Conseil national syrien, a été reçu fin septembre par le pape et l'a remercié pour ses propos au Liban.
"Sa visite, a-t-il dit au site Vatican Insider, a été un soutien à la cause de la liberté. Les chrétiens n'ont pas besoin de ceux qui les protègent".
Le père jésuite Paolo Dall'Oglio, longtemps établi en Syrie pour promouvoir le dialogue islamo-chrétien et expulsé pour sa condamnation des exactions du régime, est très circonspect : "A Damas, ils ne pourront voir que les officiels qui sont, bon gré mal gré, du côté du régime. Le message risque d'être utilisé par Assad. S'ils allaient aussi dans les camps de réfugiés en Jordanie et en Turquie, alors ce serait vraiment la solidarité avec tout le peuple syrien", a estimé le prêtre italien.