Sous prétexte de crainte pour la sécurité nationale
La crainte que les équipementiers chinois en télécommunications se livrent à des activités d'espionnage aux Etats-Unis reflète selon les analystes un choc des cultures qui pourrait s'aggraver avec l'expansion des groupes chinois à l'étranger.
Le numéro deux mondial Huawei et son principal concurrent ZTE ont en effet récemment été ciblés par un rapport d'une commission du Congrès américain les qualifiant de menace potentielle pour la sécurité des Etats-Unis.
Notamment en raison de leurs liens, réels ou supposés, avec l'Etat chinois, la commission demande à ce qu'ils soient interdits de contrats publics et d'acquisitions dans ce pays.
Huawei, une entreprise privée fondée par un vétéran de l'Armée populaire de libération, et ZTE, une société cotée en Bourse qui affirme que moins de 16% de son capital est détenu par l'Etat, nient représenter un quelconque danger.
Mais en Chine, de très nombreux groupes restent aux mains de l'Etat ou maintiennent avec lui des relations étroites, comme l'a relevé un porte-parole de ZTE, David Dai Shu, en soulignant que les conclusions du rapport américain "pouvaient s'appliquer à n'importe quelle société opérant en Chine".
Cet état de fait pourrait devenir une pierre d'achoppement récurrente -- en particulier dans des secteurs sensibles -- alors qu'un nombre croissant de sociétés chinoises se tournent vers l'étranger pour se développer et que la Chine est de plus en plus souvent perçue comme un rival stratégique des Etats-Unis.
"Jamais pays avec un système de parti unique et un très grand secteur étatique n'a joué un rôle aussi important dans l'économie mondiale, tout en étant en mesure d'investir dans le monde entier", constate Patrick Chovanec, professeur d'économie à l'Université Tsinghua de Pékin.
Des inquiétudes sur le rôle des entreprises chinoises ont déjà bloqué par le passé plusieurs acquisitions, comme en 2005 le rachat du pétrolier américain Unocal par la China National Offshore Oil Corp (CNOOC).
En invoquant la sécurité nationale, le président américain Barack Obama s'est opposé le mois dernier au rachat de fermes d'éoliennes par une entreprise à capitaux chinois à proximité d'une base navale américaine.
La méfiance a pour origine le renforcement de l'arsenal militaire de la Chine et sa capacité croissante à pénétrer et endommager les systèmes de communication ou d'information américains, affirment des responsables américains de la défense.
La Chine est régulièrement accusée d'être à l'origine de cyber-attaques massives contre des serveurs ou réseaux situés dans d'autres pays, bien que Pékin se défende avec véhémence de toute implication dans ces opérations.
Un autre obstacle au développement des entreprises chinoises à l'étranger est leur opacité: il est parfois difficile de savoir qui les dirige vraiment et qui en sont les propriétaires.
"Elles peuvent opérer selon la logique qui prévaut en Chine ou choisir celle qui a cours aux Etats-Unis, mais elles ne pourront pas toujours utiliser les deux à la fois parce qu'elles sont incompatibles", explique Scott Harold, expert sur la Chine de l'institut de recherche américain Rand Corporation.
Dans l'immédiat, l'impact du rapport du congrès devrait être limité puisque les ventes de Huawei et de ZTE aux Etats-Unis ne comptent que pour moins de 5% de leur chiffre d'affaires.
"Mais il pourrait être plus important si davantage de pays décident de tourner le dos aux fabricants chinois en invoquant des questions de sécurité", selon une étude de l'agence de notation Fitch.
Peu après la publication du rapport américain, le Canada a ainsi fait jouer "l'exception au titre de la sécurité nationale" pour la construction d'un réseau gouvernemental, interdisant toute participation de Huawei.
L'Australie de son côté a empêché cette année ce groupe chinois de participer à un appel d'offres pour construire un réseau à haut débit.
Les craintes pour la sécurité nationale, légitimes dans le cas des télécoms, pourraient aussi s'étendre à des secteurs moins sensibles.
La décision de la commission du Congrès "peut potentiellement être détournée en occident par différents groupes pour justifier le protectionnisme ou une peur irrationnelle de l'investissement étranger, en particulier chinois", estime John Lee, expert sur la Chine à l'Université de Sydney, en Australie.