25-11-2024 02:14 AM Jerusalem Timing

Dans un village turc frontalier, la peur d’une guerre avec le voisin syrien

Dans un village turc frontalier, la peur d’une guerre avec le voisin syrien

Les habitants racontent vivre dans la peur des frappes aériennes et des tirs d’artillerie alors que les rebelles intensifient leur bataille contre le régime du président Bachar al-Assad entamée il y a deux ans dans le nord de la Syrie

Nazire, 16 ans, était dans les champs, assise sous un arbre, quand les tirs ont éclaté. Les balles ont sifflé tout près de son visage, elle était terrifiée. La guerre en Syrie s'était invitée en Turquie.
  
"Si j'avais bougé la tête, j'aurais été touchée et ensuite rien ne se serait passé car ce sont des soldats syriens, je ne suis qu'une villageoise", raconte l'adolescente turque, pantalon rose et foulard fleuri, dans son village d'Ovecci Koyu, dans le sud-ouest de la Turquie, frontalier de la Syrie.
  
"On avait tellement peur. Il y avait de très petits enfants et même des bébés avec nous. On a reculé si vite qu'on a laissé nos chaussures derrière nous", se souvient-elle dans le salon de sa mère à la vue imprenable sur la frontière. 
  
Les habitants racontent vivre dans la peur des frappes aériennes et des tirs d'artillerie alors que les rebelles intensifient leur bataille contre le régime du président Bachar al-Assad entamée il y a deux ans dans le nord de la Syrie.
  
Le 3 octobre, pour la première fois, des ressortissants turcs ont trouvé la mort dans le cadre du conflit syrien. Des obus tirés du côté syrien de la frontière ont tué cinq d'entre eux et blessé neuf autres dans la localité d'Akçakale, dans le sud-est de la Turquie, frontalier de la Syrie.
  
Depuis, la Turquie a systématiquement riposté aux tirs et a rompu avec le régime syrien, alimentant la crainte dans le village que les choses n'empirent.
  
Ici, les soldats et la mosquée conseillent aux habitants de quitter leurs maisons lorsque les bombardements débutent, car elles pourraient être prises pour cible, et de s'abriter sous terre ou derrière des murs.
  
La mère de Nazire, Ilhan Doyman, dit que sa famille entière vit dans la peur.
  
"C'est très mauvais. Le jour comme la nuit nous pensons aux combats, nous ne nous sentons pas en sécurité ici. On peut entendre les bombardements et le bruit des avions, on ne peut pas dormir", explique-t-elle à l'AFP dans la rue, devant chez elle.
  
Les gens d'Ovecci Koyu sont agriculteurs. Il n'y a pas de collège, Nazire a travaillé dans les champs depuis l'âge de 12 ans. On y cultive haricots et poivrons rouges pour survivre, mais les habitants disent que tout cela est menacé.
  
"Nous courons aux champs, nous ramassons vite nos poivrons et nous rentrons chez nous", dit Ilhan en montrant un mur dans la rue derrière lequel elle s'accroupit en cas de bombardements.
 
"Si j'envoie mes filles aux champs, elles risquent d'être attaquées et je ne peux pas les envoyer en ville pour travailler, donc tout ce qu'on peut faire c'est prier Dieu", en conclut-elle.
  
Le village a aussi pris en charge un lourd fardeau en accueillant des réfugiés syriens qui fuient le conflit. Ils sont aujourd'hui 108.000 en Turquie.
  
A Ovecci Koyu, ils sont logés et nourris, beaucoup d'entre eux sont parents des villageois.
  
Ahmet Rada, 28 ans, est fiancé avec une réfugiée syrienne, mais il s'inquiète: ils risquent de ne pas pouvoir se marier car sa compagne ne peut retourner en Syrie pour remplir les dernières formalités.
  
Ahmet montre la vitre cassée de la fenêtre de sa chambre, reste d'une attaque syrienne, et un bâtiment au bord d'une colline d'où, dit-il, les Syriens tirent.
 
 "Trois de mes cousins ont perdu leurs jambes et un est aveugle. Ils ont marché sur des mines en Syrie qui étaient très proches de la frontière alors qu'ils étaient en train de la traverser pour fuir le conflit il y a deux semaines", raconte-t-il.
  
Ailleurs, quinze autres de ses proches syriens ont été blessés.
  
Comme sa fiancée, beaucoup de Syriens ont été envoyés vers des camps de réfugiés. Mais certains villageois craignent encore de se retrouver en minorité par rapport à eux.
  
Pour tous, le futur est profondément incertain. "Même les pires choses peuvent arriver. Nous pourrions entrer en guerre avec la Syrie. Je ne sais pas. Je ne veux pas y penser. Qui veut voir des choses si cruelles?", interroge Nazire.