Sur le terrain, unités de l’ASL et autres groupes islamistes continuent de collaborer avec al-Nosra
A mesure que l'Armée syrienne libre (ASL) se structure, la rivalité avec le groupe jihadiste du Front al-Nosra, fort de la prise de la base militaire de cheikh Souleimane, dépasse l'habituelle compétition du champ de bataille pour prendre une tournure plus politique.
Al-Nosra, accusé d'être affilié à Al-Qaïda et qui a revendiqué la plupart des attentats suicide en Syrie, a été placé mardi par Washington sur sa "liste des organisations terroristes étrangères" et des sanctions financières ont été prises contre deux de ses chefs.
A l'origine de l'assaut sur cheikh Souleimane, c'est d'abord l'arsenal supposé sur place qui suscite toutes les convoitises des assiégeants.
Les rebelles ont évidemment en tête le butin de guerre récupéré mi-novembre sur la Base 46, autre garnison gouvernementale à l'ouest d'Alep capturée mi-novembre, où ils ont mis la main sur des tonnes d'armements en tout genre, dont des missiles anti-aériens.
Après des mois de siège infructueux par une multitude de brigades (dont certaines étaient payées de l'étranger et avaient donc tout intérêt à faire durer le siège, accusent leurs détracteurs), al-Ansar, un groupe islamiste, est passé seul à l'attaque, précipitant l'assaut général de la base 46.
Le scénario est presque le même pour la caserne cheikh Souleimane, à la différence majeure cette fois que les jihadistes semblent avoir conservé la maîtrise de presque toute l'opération.
En déclenchant l'attaque samedi, le Front al-Nosra prend de vitesse les unités de l'ASL qui font elles aussi le siège de la base. L'un des objectifs prioritaires des jihadistes est le bâtiment abritant une unité de défense anti-aérienne, sans doute pour mettre la main sur de possibles missiles sol-air sur place.
Seule une brigade de l'ASL jouera par la suite un rôle dans l'offensive, sur le flanc ouest de la base.
"Quand nous avons vu que le Front al-Nosra attaquait, nous sommes passés à l'attaque à notre tour sur notre secteur car c'était le moment idéal", a expliqué à l'AFP Abou Jalal, commandant des "hommes libres de Darret Ezza.
Y a-t-il eu un "deal" au détriment des autres groupes? Difficile de savoir.
La brigade des "hommes libres de Darret Ezza" a remis lundi à al-Nosra plusieurs dizaines de soldats capturés pendant l'opération, a simplement pu constater l'AFP.
Influence croissante
Comme souvent, une multitude de groupes rebelles ne manqueront pas de revendiquer leur part dans la bataille, via des vidéos sur internet. Cheikh Souleimane n'en reste pas moins une incontestable victoire des jihadistes.
Si, selon Abou Jalal, les rebelles n'ont apparemment pas récupéré de missiles sol-air ou d'armes chimiques, le Front al-Nosra et ses combattants étrangers ont mis la main sur une grande quantité de matériels, dont des batteries anti-aériennes et des pièces d'artillerie lourde, a-t-on constaté.
La prise de la base cheikh Souleimane marque par ailleurs la "libération" totale de tout l'ouest d'Alep, et d'une large portion de territoire jusqu'à la frontière turque. C'est une victoire symbolique pour la révolution syrienne, que le Front al-Nosra peut désormais légitimement s'attribuer.
L'offensive sur cheikh Souleimane confirme l'influence croissante des jihadistes d'al-Nosra au sein de la rébellion, mais également parmi les Syriens, nombreux dans les territoires rebelles à louer leur courage "toujours en première ligne", leur discipline et leur respect des populations, contrastant avec la "corruption" de certaines unités ASL.
Enfin, elle intervient à un moment clé du conflit, après l'annonce, sous la pression des pays étrangers soutenant la rébellion, de la création d'un nouveau commandement chapeautant la plupart des groupes insurgés, à l'exception d'al-Nosra et d'un autre groupe islamiste, Ahrar al-Sham.
Avec la prise de cheikh Souleimane, al-Nosra s'affirme comme le fer de lance de l'insurrection devant l'ASL, et reprend par la même occasion l'initiative politique, mettant en porte-à-faux les pays occidentaux hostiles aux jihadistes.
Sur le terrain, unités de l'ASL et autres groupes islamistes continueront --par affinité, opportunisme et au gré des circonstances--, de collaborer avec al-Nosra, reconnaissent plusieurs leaders rebelles.
"Si l'Occident nous avait soutenu dès le début de la révolution, ce groupe n'aurait jamais existé", souligne le commandant Abou Jalal.
"Pour le moment, notre problème n'est pas avec le Front al-Nosra, notre problème est avec le régime", lâche Abou Jalal: "tout sera décidé après la chute de Bachar al-Assad".