Et Davutoglu contre attaque en rappelant le massacre sanguinaire en haute mer de neuf de "nos concitoyens civils qui n’avaient commis aucune infraction".
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a sermonné vendredi à Ankara le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan pour ses propos assimilant sionisme et crime contre l'humanité, un couac entre les deux alliés.
La visite d'une journée de M. Kerry, cinquième étape d'une tournée européenne et dans les pays arabes, devait être monopolisée par le conflit en Syrie, au lendemain de l'annonce par le chef de la diplomatie américaine de nouvelles aides à l'opposition et à la rébellion.
Mais c'est la dégradation des relations entre la Turquie et Israël, deux alliés des Américains, qui s'est invitée au menu de l'étape turque, après le tollé suscité par des déclarations de M. Erdogan faites à Vienne mercredi et mettant sur un même plan sionisme et fascisme.
"Non seulement nous ne sommes pas d'accord avec lui (ce discours), mais nous le trouvons contestable", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse avec son homologue turc, Ahmet Davutoglu. "J'ai parlé de ce discours très directement au ministre des Affaires étrangères et je le ferai avec le Premier ministre", a-t-il poursuivi avant de rencontrer M. Erdogan.
M. Kerry est ensuite arrivé en retard pour voir le Premier ministre, qui le lui a fait remarquer. Le secrétaire d'Etat a présenté ses excuses, disant qu'ils avaient "beaucoup de choses à (se) dire".
De fait, les deux dirigeants "ont eu une discussion respectueuse, mais franche, sur le discours de Vienne. Le secrétaire d'Etat a exprimé très clairement les inquiétudes des Etats-Unis", a indiqué un haut responsable du département d'Etat.
Aux yeux d'un autre diplomate américain, les propos de M. Erdogan "compliquent" la relation turco-américaine et ont sur elle un "effet corrosif".
Devant la presse, M. Kerry n'a pas caché non plus les dégâts que pourrait provoquer ce discours sur les relations déjà compliquées entre Israël et la Turquie. "Je crois qu'il y a toujours un moyen d'avancer mais, à l'évidence, cela devient plus compliqué à la suite du discours que nous avons entendu à Vienne" de la part de M. Erdogan.
Le responsable américain a ainsi jugé "essentiel pour la Turquie comme pour Israël de trouver un moyen de raviver leur coopération historique".
De son côté, M. Davutoglu a affirmé que son pays s'était "toujours opposé à l'antisémitisme". "Nous n'avons jamais eu aucune déclaration hostile contre aucun pays ou nation", a-t-il dit.
"Mais si on veut parler d'attitude hostile, on peut qualifier d'attitude hostile le massacre sanguinaire en haute mer de neuf de nos concitoyens civils qui n'avaient commis aucune infraction", a contre-attaqué le chef de la diplomatie turque, au côté de John Kerry qui l'écoutait tête baissée, impassible.
L'arraisonnement par un commando israélien en 2010 d'un navire de militants pro-palestiniens, voulant forcer le blocus maritime de la bande de Gaza, qui s'était soldé par la mort de neuf ressortissants turcs, a achevé de détériorer les tensions entre les deux pays, autrefois alliés stratégiques.
Tollé
Le Premier ministre turc, qui a fait ses classes politiques au sein de partis islamistes, est un habitué des déclarations à l'emporte-pièce, et Israël est devenu une des cibles privilégiées de ses colères.
Après l'opération militaire israélienne lancée contre le Hamas à Gaza en 2009, M. Erdogan avait ainsi violemment pris à partie le président israélien et prix Nobel de la paix Shimon Peres, lui lançant: "Quand il s'agit de tuer, vous savez très bien tuer".
Devant un Forum de l'ONU à Vienne, M. Erdogan avait lancé: "Comme c'est le cas pour le sionisme, l'antisémitisme et le fascisme, il devient maintenant inévitable de considérer l'islamophobie comme un crime contre l'humanité".
Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a jugés ces propos "maladroits" et "blessants", tandis que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a fustigé une "déclaration sombre et mensongère d'un genre qu'on pensait révolu dans ce monde".
En revanche sur la Syrie, M. Kerry s'est réjoui de la coopération des Etats-Unis et de la Turquie. "Nous pensons tous deux que la première priorité est une solution politique", a-t-il dit, "un régime qui commet des atrocités contre son propre peuple n'a aucune légitimité".
Un mois après l'attentat suicide, revendiqué par un groupe d'extrême gauche interdit, qui a frappé l'ambassade des Etats-Unis à Ankara et tué un gardien privé turc, M. Kerry lui a rendu hommage et assuré la Turquie du soutien américain dans "la lutte contre toutes les formes de terrorisme", y compris celui des rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).